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Le Blog de l'association de la Famille Debuiche
26 novembre 2016

100ème anniversaire de la mort à Verdun de Moïse Debuiche

Debuiche Moise Photo1

 

I Le contexte familial

 

Moïse, rappelons-le, fait partie d'une fratrie de 14, tous enfants de Charles Debuiche et Zélie Lhomme. Sur les 14, 11 garçons et 3 filles avec un intervalle intergénésique de 16 mois.

 

Au jour de la mobilisation générale, le 1er août 1914, la famille a déjà connu plusieurs drames : en 1893, à 44 ans, Charles, le père, est retrouvé mort sur un tas de cailloux, lui le cantonnier à Blangy. En janvier de la même année, c'est le petit dernier Georges qui passe de vie à trépas. Ensuite Edmond meurt à 11 ans en 1897 sans qu'on sache si c'est de maladie ou d'accident. Enfin Eugène décède à 7 ans en 1898 du mal de Pott (une forme de tuberculose). Il reste donc 8 frères et 3 soeurs. Commençons par les soeurs:

 

1 Berthe, née en 1877, se marie avec Emile SUEUR qui a 35 ans en 1914. Après avoir fait son service dans un régiment de hussards (en 1899, il est cocher à Paris), il est rappelé le 7 août 1914 dans l'armée territoriale au 6è régiment de chasseurs à cheval de Lille. Il passe au 68è régiment d'infanterie en juin 1915, puis au 77è, enfin au 17è. Il est crédité d'une campagne contre l'Allemagne d'août 1914 à février 1919.

 

2 Zélie, née en 1884, se marie en 1906 avec Georges Hengebaert qui a 27 ans en 1914. Soldat de 2è classe en octobre 1907, il est réformé pour tuberculose pulmonaire en mai 1908. En décembre 1914, le conseil de révision le classe en service auxiliaire. Jusqu'en juillet 1916, il est en sursis d'appel et travaille à l'usine Heudebert de Paris. Sursis prolongé jusqu'en mars 1917. En août de la même année il passe au septième régiment de zouaves mais il est détaché aux Aciéries de France à Paris. Il est considéré comme ayant fait la campagne contre l'Allemagne du 25 septembre 1915 au 4 mars 1919. Il décède en 1922 à Blangy, laissant 6 enfants.

 

3 Angèle née en 1887. Veuve en 1909, elle se remarie l'année suivante à Amiens avec un gendarme du nom de Joseph Koehl. Jenny Debuiche, une soeur de Victor, notre premier président d'honneur, m'avait écrit qu'il lui restait une image visuelle de ce Joseph mutilé, se déplaçant à Blangy dans un fauteuil roulant. Il y meurt en 1917 à 30 ans. Il n'est pas mort pour la France. Au début de la guerre, il n'est pas constitué de régiment de gendarmes, mais rapidement ils seront versés dans les unités combattantes pour remplacer les soldats qui sont tombés et suppléer à la pénurie de cadres. Le quatrième et dernier mari d'Angèle, Gaston Vaisset avait été incorporé le 8 octobre 1912. Il est blessé à Morhange et fait prisonnier au premier jour de la contre-offensive allemande en Moselle, le 20 août 1914; il sera rapatrié le 10 décembre 1918.

 

Reprenons dans l'ordre des naissances les huit frères vivant en août 14:

 

1 Elisée, mon grand-père, a 39 ans. Il avait été réformé au motif "Aîné de veuve et d'une famille de 13 enfants". Mais appelé en novembre 1896, il est dirigé sur Lille dans la première section d'infirmiers militaires où il reste jusqu'en septembre 1897. Rappelé à l'activité le 1er août 1914, il est caporal en juillet 1916, et sergent en juin 1917. J'ai une photo de lui en tenue d'infirmier militaire devant le lycée Mariette de Boulogne-sur-Mer qui avait été transformé pour partie en hôpital militaire.

 

2 Paul a 37 ans en août 14. Il est père de six enfants (un septième naîtra après son décès, nommé aussi Paul, le père de Claude). Il est dispensé du service militaire comme soutien de famille. Mais il est quand même envoyé en novembre 1899 vers le 12è régiment d'artillerie où il est 2è canonnier conducteur. Rappelé en août 14, il arrive au corps le 10 septembre, passe au 4è régiment d'artillerie le 2 octobre 1914 et rentre du front, malade, le 30 novembre pour être rappelé le 26 décembre mais il ne rejoint pas le corps. Il meurt à Blangy en mars 1915. C'est notre premier mort de la guerre.

 

3 Léonce, le grand-père de Jacqueline, a 35 ans en août 14. En novembre 1900, il est au 7è bataillon d'artillerie à pied, 2è canonnier servant. Rappelé à l'activité par suite de la mobilisation générale le 1er août 14, il est réformé le 23 novembre pour pyélonéphrite.

 

4 Charles a 33 ans en août 14. Il avait fait ses classes au 120è régiment d'infanterie. Rappelé lors de la mobilisation générale, il arrive au corps le 12. Il est réformé le 14 janvier 1915 pour "arythmie cardiaque". Il a fait la campagne contre l'Allemagne du 12 août 1914 au 14 janvier 1915. De santé fragile? Il ne le semble pas puisqu'il vivra jusqu'à 88 ans, il est l'arrière grand-père de Stéphanie.

 

5 Victor a 29 ans en août 14. Il est le père de Victor que vous avez connu et qui est décédé en 2007. Il fait ses classes au 147è régiment d'infanterie. Réformé temporaire en février 1905, il est rappelé à l'activité en février 1907 comme soldat de 2è classe. Rappelé le 1er août 14, il est au 50è régiment d'infanterie, puis passe au 73è le 19 mai 1915, et enfin au 418è le 23 novembre 1915. Il est déclaré "mort pour la France" le 29 novembre à Vitry le François. Sa famille de quatre enfants reçoit un secours de 150 francs le 22 janvier 1916. Les circonstances de sa mort sont connues: dans la tranchée, on lui donne l'ordre de réparer le parapet (dans le civil, il est menuisier) endommagé après l'éclatement d'un obus. Au cours de la manoeuvre, il est touché à l'épaule. Evacué, il perd son sang sans qu'on puisse arrêter l'hémorragie. Aline, sa femme, aura le temps de se rendre à son chevet pour assister à sa mort. C'est le deuxième mort de la famille.

 

6 Jean né en 1888, vient d'avoir 26 ans en août 14. Forgeron de profession, il est soldat de 2è classe, passé au 2è escadron du train des équipages en 1909. Rappelé comme les autres en août 14, il arrive au corps le 5 et passe au 7è escadron du train en décembre 1915, puis au 10è en janvier 1918. Il est évacué pour sclérose du sommet du poumon gauche au centre hospitalier de Vertus dans la Marne le 21 juillet 1918. Il est noté qu'il a fait la campagne contre l'Allemagne du 3 août 1914 au 10 avril 1919. C'est le seul dans ce cas.

 

7 Moïse : j'y viendrai après Edouard.

 

8 Edouard a 22 ans en août 1914. Ajourné par le conseil de révision en 1913 pour bronchite suspecte au sommet gauche, il est dit bon pour le service armé en 1914. Il est incorporé au 46è régiment d'artillerie de campagne le 6 septembre 1914 comme 2è canonnier conducteur. Atteint de rougeole en avril 1915, il repart au front le 1er juillet 1915. Il est nommé brigadier le 17 juillet 1915. Evacué pour pleurésie le 13 mars 1916, il est maintenu au service armé en juillet 1916. Souffrant de bronchite, il est soigné à St-Malo le 14 février 1917, puis réformé temporaire à St-Brieuc le 13 avril 1917. Voici un extrait datant de 1939, traitant des cas de réforme: "Vaste plaie thoracique consécutive à une thoracotomie pour ancienne pleurésie purulente à parois ossifiées". Je vous ai déjà dit, ici-même, qu'Edouard, jusqu'à sa mort en 1959, avait gardé les stigmates de la guerre, nécessitant des soins journaliers.

 

II Evocation de Moïse

 

En exergue, je placerai ce tercet de Julien Vocance:

 

Jeunesse, grave et réfléchie

Pour avoir, merveilleux prodige,

Connu la mort avant la vie.

 

7è des 8 garçons mobilisés en août 14, à cette date, Moïse vient d'avoir 25 ans, il est menuisier-ébéniste, promis à un bel avenir. Il a travaillé avec son frère Victor, menuisier lui aussi. En juillet 1913 , il habite à Boulogne-sur-Mer et en novembre de la même année à Dunkerque, sans doute pour des raisons professionnelles. On possède des photos de lui qui le montrent rieur, l'oeil vif. Sur le plan militaire, il est classé "bon service armé", et est incorporé le 4 octobre 1910 comme canonnier servant, puis maître-pointeur le 7 juin 1912. Le maître-pointeur manipule le collimateur de visée, la jauge, les manivelles de dérive et de hausse : il est considéré comme "l'intellectuel du groupe". Rappelé à la suite de la mobilisation générale, il passe du 2è régiment d'artillerie lourde au 111è le 1er novembre 1915. Il est nommé brigadier le 8 mai 1916.

 

Puique nous célébrons à cinq jours près le centième anniversaire de la mort à Verdun de Moïse Debuiche, rappelons l'étendue des pertes du côté français : 1,3 million de tués, 4,2 millions de blessés sur 16,7 millions d'hommes mobilisés, soit un homme sur trois tué ou blessé. Les pertes selon les armes varient de 23% dans l'infanterie à 6% (on ne peut dire seulement) dans l'artillerie et le génie.

 

D'après l'historique du 2è RAL publié en 1920 à Soissons, le régiment est armé de canons de 155 mm court, à tir rapide (CTR), modèle 1904, dont la portée est de 6,3 kms, capables de tirer cinq à six coups par minute. En réalité si les canonniers suivent cette cadence, le canon chauffe et menace d'exploser. D'autre part, la portée n'est pas aussi longue qu'il est indiqué. Quarante obusiers forment une batterie et trois ou quatre batteries un groupe qui entre dans la composition du régiment. C'est avec ce matériel au demeurant performant que le 2è groupe du 2è RAL entre en campagne et participe aux combats de Champagne de décembre 1914 à mars 1915 devant Perthes, Mesnil-les-Hurlus, la Cote 200 et le fortin de Beauséjour. En juillet, c'est la première bataille de la Somme. Début septembre, il revient en Champagne et prend part à l'offensive devant Tahure, le Trapèze et sa butte du Mesnil. Tahure où le sous-lieutenant Guillaume Apollinaire écrit au coeur de la bataille:

 

Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit

Dans les éboulements et la boue et le froid

Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture

Anxieux nous gardons la route de Tahure

 

Du 26 septembre au 30 octobre 1915, le 2è RAL reste en position au bois des Lièvres. Sous l'attaque allemande du 29 octobre, le bombardement est continu. Le groupe perd douze officiers et la moitié de son personnel est mise hors de combat. Le philosophe Alain dans ses Souvenirs de guerre dit que les groupes manquent de portée alors que les Allemands portent à 12 km, d'où la nécessité pour les batteries françaises de se rapprocher des lignes, ce qui les met inévitablement en danger. Si l'on se réfère au Journal des marches et opérations du régiment (JMO), on découvre les précisions suivantes : dans la nuit du 8 au 9 octobre, le bois des Lièvres est violemment bombardé par des obus de tous calibres, lacrymogènes et suffocants. Au matin, un schrapnell (obus à fragmentation) éclate, percutant un abri où sept hommes sont enterrés. On les déterre. Ils sont légèrement atteints sauf le 2è canonnier Legendre qui est fortement pressé et le canonnier Caron, pris d'une crise d'épilepsie qui dure plusieurs heures. Le 9, un obus suffocant tombe sur une tranchée où se trouvent le lieutenant Chivot et le sous-lieutenant Bassereau. Le premier, enterré dans une atmosphère asphyxiante, est retiré quelques minutes après et emporté sans connaissance. Il mourra le 22. Le second se dégage de lui-même et est évacué. Il reviendra au combat le 30 novembre. Il est certain que ce sont ces événéments qui valent à Moïse une première citation à l'ordre de l'armée le 21 octobre. En voici l'énoncé : "Le maître-pointeur Debuiche, son chef de pièce ayant été blessé et plusieurs hommes d'autres pièces enterrés dans un abri, leur a porté secours efficacement pendant la continuation du bombardement et maintenu sa pièce dans l'ordre".

 

Attardons-nous un moment sur cette offensive de Champagne, interrompue le 7 octobre, comme le précise Jean-Yves Le Naour dans 1915, l'enlisement. L'état-major a tiré la leçon de la campagne de l'Artois où les stocks de munitions avaient été épuisés, ce qui rendait toute action impossible. La préparation d'artillerie avait commencé le 4 octobre sans beaucoup de résultats. Etant donné le mauvais temps, les réglages d'artillerie avaient été approximatifs et les observations aériennes pénalisées. L'assaut est donné dans une brume épaisse et seule la butte de Tahure est prise! Joffre se félicite pourtant d'avoir adopté cette stratégie et fustige courageusement la troupe qui selon lui manque d'instruction militaire. Pétain a compris le premier que l'effort industriel est indispensable pour produire des armes et des munitions en grande quantité et que l'effort moral et le sacrifice des troupes ne viennent qu'après l'effort industriel. Mais avant que Joffre ne soit remplacé à la tête des armées et que Pétain ne dirige à Verdun, il se passera encore de longs mois au cours desquels les sacrifices seront inutiles.

 

Mais revenons sur le terrain des artilleurs où la batterie de Moïse et celles de son groupe reçoivent l'ordre de consolider les maigres résultats de septembre. Réglages et reconnaissances sont nécessaires pour parer à toute contre-offensive allemande. L'ennemi déclenche de terribles attaques fin octobre contre Tahure et sa butte et vous connaissez la suite. Le 2è RAL est relevé et le 1er novembre 1915, il devient le 111è RAL. Ces réorganisations ont lieu dans toutes les armes car le nombre de soldats mis hors de combat (tués, disparus, blessés, malades, prisonniers) est tel que les unités sont décimées.

 

Après avoir cantonné quelque temps, le nouveau régiment part le 29 février 1916 pour occuper une position de batterie sur la côté de Belleville au nord de Verdun, sur la rive droite de la Meuse, un peu à l'ouest du fort de Belleville où les hommes doivent construire l'emplacement des pièces et des abris à munitions. Verdun. Moïse est à Verdun dès février. Verdun : 300 jours et 300 nuits de combats acharnés de février à décembre, 6 obus par m², 720000 victimes dont 381600 Français tués, disparus ou blessés. 1400 pièces d'artillerie allemandes contre 650 canons français : le déséquilible des armes est flagrant.

 

Emile Gillet, qui a participé à la bataille, constate :

"A Verdun une division, dans l'espace d'une relève laisse en moyenne 4000 hommes. La terre elle-même change de forme; les collines, sous les coups de rabot des obus perdent leurs reliefs, leurs contours. Le paysage prend cet aspect jamais vu, cet aspect de néant, cette apparence croulante de fourmilière et de sciure... On ne vit plus...on ne dort plus, on ne mange plus, on range les morts sur le parapet, on ne ramasse plus les blessés. On attend le moment fatal dans une sorte de stupeur, dans un tressaillement de tremblement de terre, au milieu du vacarme dément." Paroles de Verdun éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.257.

 

Le Naour démontre comment l'impréparation de l'état-major qui ne croyait pas à une attaque allemande sur Verdun mais sur la Somme, malgré des indices concordants, a failli tourner au désastre. Joffre, le grand responsable, avait fait pratiquement désarmer le fort de Douaumont pris le 25 février par une poignée d'hommes partis en reconnaissance. Par hasard! 60 Français le défendaient. La presse allemande fait état de combats acharnés qui n'ont pas eu lieu et célèbre l'exploit. Grand silence dans la presse française qui finira par reconnaître de terribles combats pour la reprise héroïque du fort. Mais tout est faux. Il faudra 100000 hommes pour le reconquérir en octobre. Encore heureux que l'offensive ennemie ait été retardée d'une semaine à cause des intempéries, ce qui a permis aux forces françaises de se préparer in extremis.

 

Le 25 février 1916, au deuxième jour des opérations allemandes, voici ce qu'écrit le médecin auxiliaire René Prieur, "enseveli quatre fois sous des trous d'obus" en portant secours aux blessés : "Bien qu'il faisait(sic) froid et grelottant, boueux, sanglant, j'ai dormi de fatigue... songeant à la mort possible, à l'éternité peut-être très proche et troublante, revoyant rapidement ma vie et me recommandant à Dieu" (cité par Le Monde des 21 et 22 février 2016). Et René ne vit pas les combats des tranchées...

 

Ou encore voici le témoignage d'Albert Garnier le jeudi 2 juin 1916.

 

"Ce que je vois est affreux. Les cadavres sont légion; ils ne se comptent plus; on marche sur les morts. Des mains, des jambes, des têtes et des cuisses coupées émergent de la boue et on est contraint de patauger là-dedans, car c'est encore dans ce méchant fossé à moitié comblé par endroits qu'on peut espérer se dissimuler un peu. Ici, un soldat est tombé à genoux; il bouche le passage; on lui grimpe sur le dos pour avancer; à force de passer sur lui, on a usé ses vêtements, on marche sur sa peau." Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.304

 

Du côté allemand, les lettres des combattants recèlent les mêmes accents tragiques:

 

"Je vous fais savoir que je suis encore en bonne santé, bien qu'à moitié mort de fatigue et d'effroi. Je ne peux pas vous écrire tout ce que j'ai vécu ici, cela a dépassé de loin tout ce qui avait eu lieu jusqu'à présent. En trois jours environ, la compagnie a perdu plus de cent hommes, et bien des fois je n'ai pas su si j'étais encore vivant ou déjà mort... J'ai déjà abandonné tout espoir de vous revoir". Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.129

 

Les premiers combats ont montré que les ouvrages de défense étaient pulvérisés par la puissante artillerie allemande malgré les fortifications de Séré de Rivières (1,50m à 2,50m de béton). De même pour Thiaumont, rayé de la carte à la fin de la guerre, qui est attaqué le 20 juin et pris le 23, jour de la mort de Moïse.

 

A partir de la fin février 1916, Moïse est donc partie prenante de la défense de Verdun. Pendant toute la bataille, la batterie effectue, suivant le JMO, des tirs de barrage à la demande de l'infanterie. Tirs sur le grand ravin de Louvremont, sur Vacheauville, la Fontaine Saint-Martin.

 

Lucien Gissinger écrit pour le 3 mars :

 

"Notre artillerie pilonne le village de Douaumont. Enfin nous arrivons auprès de la ferme de Thiaumont en flammes, c'est de là que doit partir l'attaque... Nous partons au pas de gymnastique. Il y a 300 mètres à parcourir en terrain découvert avant d'arriver aux tranchées boches. Leurs mitrailleuses crachent, les balles sifflent, les obus éclatent derrière nous en tir de barrage... le but approche, mais nous sommes à bout de souffle... Les Boches de la première ligne jettent leurs armes, lèvent les bras en criant: "Kameraden". Sans pitié les nôtres les fusillent à bout portant car nous avons reçu l'ordre de ne pas faire de prisonniers... En fouillant dans ma poche de capote pour prendre des cartouches, je m'aperçois qu'au cours de l'attaque, une balle allemande a traversé ma poche et sectionné complètement une cartouche. Une grenade se trouvait également dans cette même poche. Si elle avait été frappée par cette balle, c'était ma fin." Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.106

 

Revenons à Moïse : le 8 mars, une pièce éclate, blessant dix hommes : la pièce a reçu un obus ennemi tombé devant elle au moment du tir. Tirs encore sur la Côte du Poivre. Avril et mai, ce sont encore des attaques allemandes auxquelles il faut résister. C'est une période très dure en raison du mauvais temps, de l'intensité et de la continuité des tirs. Les observations se font soit du bois de Harvé, soit de l'ouvrage de Thiaumont. Le JMO note pour mai 1916 des préparations d'attaques sur les carrières d'Haudremont pour le compte du 107è régiment d'infanterie. Des opérations préliminaires sont menées par un bataillon de chasseurs qui font quatre-vingt-treize prisonniers et s'emparent de quatre mitrailleuses. Le lendemain, le 22 mai, une attaque est lancée sur Douaumont mais les 23 et 24 les Allemands contre-attaquent sur Douaumont et Haudremont. Le début de juin est assez calme sur le front de la division, mais, à compter du 7, l'ennemi s'avance jusqu'aux abords de l'ouvrage de Thiaumont. Le 20 juin commence un très violent bombardement, entrecoupé d'attaques de nuit sur tout le front. La batterie reçoit de nombreux schrapnells de 77 à obus suffocants, qui tombent très exactement sur la batterie. Lorsque l'infanterie demande des tirs de barrage pour se dégager, les hommes ne peuvent, sous le masque à gaz, faire les efforts nécessaires au transport des obus. Beaucoup enlèvent alors le masque pour accomplir leur devoir. Au matin du 23, un grand nombre ne peuvent plus tirer et on doit les évacuer. La batterie perd le sous-lieutenant Bassereau et le lieutenant Andréani, un maréchal des logis, deux brigadiers dont Moïse, deux maîtres-pointeurs et dix-neuf servants ou conducteurs. Vu les pertes, elle est remplacée au matin par deux officiers et un peloton de la 10è batterie et elle tire toute la journée du 23 et toute la nuit du 23 au 24. Elle est relevée le 24 au matin et forme avec d'autres pelotons une nouvelle batterie. Le 1er juillet elle est définitivement relevée. Pour elle, Verdun, c'est fini. A une semaine près, Moïse passait le cap. Cette fois, la chance avait tourné. Les précisions sur lesquelles je me suis appuyé sont peut-être de la main du capitaine Allard.

 

J'évoquais à l'instant le manque de chance de Moïse. Sachez que le 23 juin, Pétain, au téléphone avec le Grand Quartier Général, prudemment installé à Chantilly, avait envisagé l'abandon de la rive droite de la Meuse. Quel aurait été le sort de Moïse si le GQG avait été d'accord?... il restait encore vingt-neuf mois de guerre...

 

Sa conduite, en sa dernière journée de guerre et de vie, lui vaut le 12 juillet 1916 une deuxième citation, cette fois à l'ordre du régiment : "A montré pendant la nuit du 22 au 23 juin le plus grand courage, dirigeant ses pièces sous les gaz suffocants avec un petit nombre d'hommes, les autres ayant été mis hors de combat. Mortellement atteint à son poste. Croix de guerre avec palmes". A noter que le capitaine Allard indique que Moïse meurt de ses blessures et que l'autre brigadier Vallée n'en meurt pas. Je cite encore ce que Régis Maucolot dans sa thèse sur les pharmaciens dans la guerre 1914-1918 écrit en 1996 : Dans la nuit du 22 au 23 juin 1916, les Allemands attaquent au nord-est de Verdun, vers le fort de Souville, avec environ 100.000 obus toxiques marqués d'une croix verte. Le gaz, mélange de chloroformiate de méthyle tri- et dichloré, s'accumule dans les ravins qui étaient visés, provoquant l'évacuation de 1.600 intoxiqués et la mort de 80 hommes.

 

Après Verdun, ce sera la Somme que Joffre attendait avec impatience, alors que ce n'était pas l'heure. La bataille commence le 24 juin pour un gain d'une dizaine de kilomètres et la perte de 200.000 Britanniques, 170.000 Allemands et 66.000 Français. Après ces terribles saignées de 1916, il faudra encore, comme vous savez, presque deux années de guerre pour mettre à genoux l'un des belligérants.

 

John Dos Passos, l'Américain futur prix Nobel de littérature, témoigne pour ces années dans l'Initiation d'un homme, 1917 :

 

"Mais, nom d'un chien, je veux être capable d'exprimer plus tard tout cela, toute cette tragédie et son hideuse excitation. J'en ai vu si peu. Je dois en approfondir l'expérience, de plus en plus -les doigts gris et crochus des morts, l'aspect noirâtre des corps sales, mutilés, leurs soubresauts dans les ambulances, l'ample tam-tam des canons, ce prodigieux déchirement quand ils explosent, ce sifflement des obus semblables à de colossales bécasses, leur grondement satisfait quand ils approchent du but, la gamme sonore des fragments- une harpe brisée en plein air- et le crépitement des pierres et de la boue sur votre casque" (Editions Gallimard collection folio p.42)

 

"Jour qui se lève dans un désert de troncs ébréchés et de terre défoncée; sur un ciel jaune, l'éclat jaune des canons, accroupis comme des crapauds dans un fouillis de fils de fer et de tas de douilles en cuivre et de caisses éventrées. De longues routes creusées d'ornières et jonchées de douilles, qui s'allongent à travers les bois dévastés, dans le jour jaune; et, tout au long, des grappes enchevêtrées de fils téléphoniques. Du camouflage arraché qui voltige, gris verdâtre, sur un ciel d'un jaune ardent, et les guirlandes vertes des gaz qui s'enroulent parmi les arbres défeuillés, noirs et fantastiques. Au long des routes, des camions retournés, des mulets crevés engagés dans leurs traits, à côté de caissons fracassés, des corps en tas dans leur longue capote bleue, à demi enterrée dans la boue des fossés". (p.138)

 

"Et tous ces hommes de par-delà le coteau et le bois, que pensaient-ils? Mais comment auraient-ils pu penser? Les mensonges dont ils étaient gavés les empêcheraient éternellement de penser. Ils n'avaient jamais eu l'occasion de penser avant qu'on les jetât dans la gueule du monstre, où il n'y avait place que pour le ricanement, la misère et l'odeur du sang." (p.161)

 

Je voudrais aussi évoquer une photo de Moïse, bordée de noir, prise le 27 décembre 1915 : on le voit appuyé sur le fût d'un canon abrité derrière une construction, il est souriant, l'air avenant, confiant. L'artilleur n'est pas en principe un homme de tranchée couvert de boue, blême, hâve, poilu! Au dos de cette photo, une toute petite phrase, datée du 31 décembre, qui m'a longtemps fait frémir, écrite d'une plume élégante, comme tant d'hommes du peuple que l'on a sacrifiés savaient alors le faire : "Demain, l'année de la fuite, j'espère ...!" Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette expression, elle n'est pas là le fruit d'un désir irraisonné de prendre la fuite, en un mot de déserter -comme je comprendrais ce désir après avoir lu tant de livres et de témoignages sur cette guerre- non, dans le jargon des poilus, la fuite, c'est l'arrêt des hostilités, de l'horreur des corps éclatés, de la boucherie sanglante avec la perspective du retour au foyer. C'est le sage désir que cesse la barbarie! C'est, comme l'écrivait Georges Pérec, la fin de l'histoire "avec une grande hache".

 

Et terminer par les faits que Jacqueline a établis en examinant deux cartes postales envoyées notamment le 9 mars 1921 par Léonce, son grand-père, à sa femme Cécile et à sa fille Yvonne : Léonce et Elisée se rejoignent le 7 mars à Paris pour se rendre à Verdun où ils retrouvent Edouard dans le but de rapatrier le corps de Moïse, lequel avait été enseveli dans sa capote par ses camarades de guerre dans un quartier de Verdun nommé Glorieux. Et le 11 mars 1921, au retour du cercueil, le maire de Blangy, Monsieur Gustave Sallé, prononce un discours devant la population au premier rang de laquelle se trouve Zélie, la mère des martyrs. Ecoutons-le :

 

" Ces deux jeunes gens que nous avons vu naître pour ainsi dire, que nous avons tous connus et aimés, que nous avons vu grandir au milieu de nous, étaient tous deux des modèles dans la vie civile.

D'un caractère aimable, foncièrement bons, serviables, bons fils et bons camarades, ayant montré les plus heureuses dispositions pour la lutte pour la vie : l'un d'eux, Moïse, guidé en cela par ses aînés, avait commencé à chercher sa voie dans le commerce où il devait sûrement réussir. L'autre, ouvrier habile et consciencieux, voyait également en toute tranquillité d'esprit l'existence s'ouvrir devant lui. Il n'appréhendait pas l'avenir, ses qualités naturelles lui permettaient de l'affronter avec toutes les chances de succès."

 

Le maire retrace ensuite le parcours de Moïse : " Bon soldat, aimé de ses chefs, il devenait rapidement brigadier-chef, puis maréchal des logis ... et après avoir traversé des heures terribles, il succombe en pleine bataille en 1916 devant Verdun de sinistre mémoire, expirant presque au pied de sa batterie que malgré les vagues de gaz asphyxiants il ne voulut abandonner que lorsqu'il eut senti ses forces épuisées.

 

Après trois heures d'atroces souffrances, il expirait.

 

A cette mère vaillante malgré tout au milieu des plus meurtrières angoisses, si durement frappée dans ses affections les plus chères, j'apporte ici mon salut respectueux. Huit enfants mobilisés : trois morts. Tel est le triste bilan de son calvaire et de ses peines.

 

Pour nous qui savons comment tous ont su par leurs propres moyens se creuser leur sillon dans la vie, arriver à des situations sociales parfois brillantes grâce à leur bonne volonté, au service d'une intelligente activité, et cela sans jamais oublier les liens de famille qui les unissaient tous, qu'il est beau de les voir ici tous groupés dans le pieux et dernier devoir qu'ils ont tenu de rendre les premiers à leurs bien aimés frères.

 

Moïse et Victor étaient eux aussi animés des mêmes sentiments d'affection et d'esprit de fraternité. (...)

 

Mon brave petit Moïse Debuiche, tu avais vingt-cinq ans, tu étais beau de jeunesse, de santé, d'enthousiasme et de bonne volonté, tu avais à peine goûté à la coupe de la vie qui s'ouvrait à toi pleine de promesses. Tes yeux sont fermés!... Ils ne verront plus l'astre rayonnant du jour, les riants côteaux de tes jeunes années, le doux regard de ta bonne mère, tu n'entendras plus la voix de tes frères, de tous tes amis!

 

Tu as perdu tout cela, c'est vrai, mais console-toi, tu as illustré ton nom et celui de tous les tiens.

 

Tu vas reposer sur un lit de gloire, tu as gagné l'immortalité !"

 

Debuiche Moise Photo1 (1)

Villeneuve, le 7 mars 2016

 

 

 

 

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Le Blog de l'association de la Famille Debuiche
  • Née en 2002, notre association généalogique les descendants de Nicolas Debuiche (1695-1738) et Marie Hélène Sallé (1696-1738) s'est donné comme mission de réunir les cousins, de rechercher des éléments permettant de construire l'histoire de notre famille
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