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Le Blog de l'association de la Famille Debuiche

6 septembre 2018

à propos de Paul

Claude Debuiche, le fils de Paul, réagit le 5 septembre 2018 à l'article du journal de Limoges en donnant les avis de sa mère et de son grand-père maternel : 

-Maman :

« Pénurie de viande due aux réquisitions pendant la guerre et la rupture de la chaine de reproduction qui en a découlé. Les gens n’avaient pas d’argent et « payaient » sous forme « d’inscription en compte crédit » qu’ils ne pouvaient honorer en fin de mois d’où les pertes d’exploitation de mon père qui n’insistait pas  pour récupérer ses créances. Il a été obligé de quitter la région pour Paris afin de trouver un travail rémunérateur.

-mon grand-père maternel :

« Il existe un contrôle des prix que les commerçants ne respectent pas car la pénurie de produits agricoles due à la proximité de la guerre mais également aux hivers très froid des années 1945 et 1946 ont conduit à une forte augmentation des prix des producteurs qui dépassaient largement les prix fixés par l’Etat. Des sanctions, de fait inefficaces, sont alors prises à l’égard des commerçants ».

Merci à Claude pour ces précisions.

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16 juin 2018

Rapport d'activités juin 2018

 

 

 

Notre huitième rencontre! 2002-2018, 16 ans que nous nous retrouvons les uns et les autres, malgré de longs voyages, avec beaucoup de plaisir. Merci à tous ceux qui restent fidèles et qui ont pu se déplacer une nouvelle fois. Et espérons que les absents du jour, empêchés, seront là à une autre occasion. Espérons aussi que les jeunes, récemment contactés, viendront découvrir leurs cousins et le village de nos racines communes.

 

En 2017, l'activité de l'association a été marquée par les journées à Verdun vécues comme le prolongement du travail sur Moïse victime d'une attaque aux gaz au pied de sa batterie en 1916. Nous avons visité d'abord le Mémorial de Verdun, vaste et riche musée étonnant de modernité dans sa conception et son animation. Puis l'Ossuaire de Douaumont, ensuite les Forts de Douaumont et de Vaux. Nous avons parcouru en wagonnet électrique la Citadelle de Verdun, centre logistique de la bataille. Nous nous sommes bien entendu octroyé un temps de réflexion et d'échanges autour d'extraits de témoignages et de romans proposés et lus par plusieurs d'entre nous. Nous avons consacré un après-midi au village détruit de Fleury-devant-Douaumont, à la tranchée des baïonnettes, à la Crête du Mort-Homme et avons même poussé jusqu'en Argonne pour découvrir la cote 304 et ses 10000 soldats tombés pour la prendre et la reprendre. Puis, du haut des 234 marches de l'imposant monument américain de Montfaucon dédié à la liberté, nous avons aperçu toute l'étendue du front. Pour finir, nous nous sommes recueillis dans le site majestueux et serein du cimetière américain de Romagne-sous-Montfaucon.

 

Nous avons continué à envoyer les comptes rendus aux adhérents et les lettres annuelles en plus grande diffusion. En décembre 2017, la lettre aux cousins a été envoyée à cent vingt adresses postales environ : il en est revenu une bonne dizaine. La dernière a été retournée le 25 avril 2018, soit quatre mois après son départ avec la mention "décédée". D'année en année, le nombre de destinataires de ce type de courrier diminue puisque les jeunes générations n'utilisent plus de téléphones fixes, pourvoyeurs d'adresses postales repérables dans les annuaires, sans que le nombre de mails n'augmente (45). Nous avions déjà soulevé ce problème qui montre un réel manque de visibilité de notre association sur lequel il convient encore de discuter. Les quelques nouveaux contacts établis grâce à Internet sont à entretenir car ils pourraient amener de futurs adhérents. Il semble que certains soient décidés à rejoindre l'association quand leur calendrier le leur permettra.

 

J'ai aussi relu tous les mails reçus et échangés depuis deux ans au titre de l'association (cela fait quelques centaines) : Claude et Monique, Jean-Claude, Emile, Adeline, Jacqueline, Yvette, Véra, Armel et Monique, Viviane, Stéphanie, Natacha, Blandine et quelques autres. Beaucoup portent sur les rencontres à mettre au point ou sur des demandes de renseignements. C'est par ce moyen que la vie de l'association s'approfondit et perdure.

 

Mémoire@lavoixdunord.fr où je me suis inscrit permet de "récupérer" quelques avis de décès et de compléter l'arbre. Mais le fournisseur le plus riche en compléments de généalogie, à défaut de courriers des cousins, demeure Genanet avec une alerte par semaine au patronyme Debuiche et la posssibilité d'interroger la base sur la famille. Les résultats sont intéressants (j'en ai déjà parlé en 2016) à condition de vérifier sur les sites des Archives départementales le bien-fondé et la bonne lecture des informations données, les erreurs ou approximations étant nombreuses. Voici quelques exemples de trouvailles suivies de recherches sur les AD.

 

Tout d'abord, j'ai eu la surprise de lire dans le journal l'Egalité de Roubaix-Tourcoing du 12 juillet 1930 le nom de mon père Jean reçu à la première partie du baccalauréat, série A, aux examens de Lille dans une courte liste d'une trentaine de lycéens. Rappelons qu'au premier baccalauréat en 1809 il n'y avait que 31 candidats pour tout le pays. En 1931, ce sont 15007 lycéens et lycéennes qui obtiennent le dipôme, ne représentant que 2,5 % de leur cohorte d'âge.

 

Un autre article de journal révélé par Geneanet, puisé dans le Populaire du Centre (Limoges) daté du vendredi 11 janvier 1946, concerne Paul Debuiche, huit mois avant la naissance de son fils Claude ici présent. Cet article est intitulé : "Cinq bouchers qui pratiquaient des prix exagérés sont sévèrement frappés" et poursuit : "Les augmentations importantes ne sont plus proportionnées aux modestes ressources de la plupart des ménages de travailleurs urbains. Devant cette situation, toute hausse illicite doit être réprimée impitoyablement. Par décret préfectoral des 4 et 9 janvier 1946, les sanctions suivantes ont été prises : M. Debuiche, boucher à Peyrat-de-Belloc, un mois de fermeture pour avoir vendu le boeuf 1ère catégorie à 132 francs le kilo, soit une majoration de 43%". Rassurons Claude, Paul est le boucher qui augmente le moins ses prix sur les cinq sanctionnés et n'oublions pas qu'il venait de combattre dans les maquis de la résistance limousine.

 

Autre découverte au Journal Officiel du 11 juillet 1961, page 6320. Celle d'Alfred Romain André Debuiche, comptable, jusque là "inconnu au bataillon". Alfred Romain est rattaché au bureau de recrutement militaire de Versailles, matricule 2816, classe 1910. Né en 1890 à Mantes, en Seine-et-Oise, il réside avec ses parents à Maisons-Laffitte. Il y est décrit avec des yeux bleu clair, taille 1 m 67, cheveux châtain, visage osseux, degré d'instruction 3. Ses parents se sont mariés le 2 janvier 1890 à Paris XVIè : Alfred Henri Joseph, son père, est, comme il se doit, né à Blangy en 1861, fils d'André maréchal-ferrant (retenez ce nom pour la suite) et d'Emilie Asselin, il est employé au chemin de fer et domicilié à Paris, 31 rue Le Marois, et sa mère Rose Isabelle Genété est née à Elbeuf en 1867, sans profession. Alfred Romain se marie à Paris XVIè le 4 août 1917 avec Marie-Antoinette Blanc-Coquand. Il décède subitement à Argenteuil le 9 février 1963. C'est par son dossier de la légion d'honneur que je dispose de ces informations. Son faire-part de décès porte le nom de sa veuve, d'Yves Debuiche (je n'ai pas trouvé de qui il s'agit), de M. et Mme Louis Debuiche, de M. et Mme Maurice Debuiche (chef d'escadron de réserve) et de M. et Mme Maraly (?), ses frères et belles-soeurs. Alfred Romain a fait toute la guerre de 14-18, quatre ans, trois mois et neuf jours très exactement après un service militaire de deux ans, honoré de cinq titres de guerre; il était sergent d'intendance. Il est blessé le 15 septembre 1914 à Courcy lors de la bataille de la Marne, avec plaie superficielle de la face intérieure de la cuisse par éclat d'obus. Blessé encore le 20 mars 1915 à Harentage (lieu non trouvé) avec plaie du bras par balle. Blessé aussi le 12 octobre 1916 à Marval avec plaies au bras et avant-bras droits, cuisse et genou par éclat d'obus. Blessé enfin le 2 mai 1917 à Craonnelle, dans l'Aisne, avec plaies à l'épaule, bras et fesse gauches, fracture à l'humérus par éclat de bombe. C'est donc dans le J.O. du 11 juillet 1961 que paraît sa nomination aux insignes de chevalier de la légion d'honneur mais le diplôme ne lui a pas été remis séance tenante car l'administration a commis une erreur sur son lieu de naissance : Nantes au lieu de Mantes.

 

J'avais noté depuis fort longtemps la naissance à Blangy le 21 septembre 1863 de Berthe Philomène Debuiche sans savoir ce qu'elle était devenue. Récemment, Geneanet m'a permis de retrouver sa trace. J'ai choisi de vous en parler car c'est la tante d'Alfred Romain dont je viens de vous entretenir. Elle s'est mariée à Sallaumines dans le Pas-de-Calais le 16 février 1898 avec un maître-cordonnier au 16è bataillon de chasseurs à pied (il avait de quoi travailler !) en garnison à Lille du nom d'Oscar Emile Sarazin né à Frévent en 1866, veuf de Marguerite Detève décédée à Lille en mai 1896. Oscar est décédé à Calais le 26 mars 1948. J'ignore quand est décédée Berthe. De ce couple, je n'ai trouvé qu'un fils né à Lille le 7 janvier 1899, Réné Edouard Sarazin, marié à Brêmes en 1922 avec Germaine Cucheval. La branche de ces Debuiche étudiés dans la descendance d'André maréchal-ferrant à Blangy (1831-1923) est éteinte du point de vue agnatique mais les filles se sont mariées et leur descendance est certainement encore active.

 

Et pour la fin, et c'est pour vous dire combien ma mission est passionnante et nécessite de l'abnégation, voici une découverte que j'ai faite dernièrement dans l'Echo de l'Ouest, grand quotidien d'informations- agricole, industriel, judiciaire, maritime, commercial- du samedi 15 août 1931, en première page, sous le titre : Un chou géant. "Un cultivateur de Vauvillers (Somme) M. Debuiche -il s'agit d'Edouard dont nous avons tant parlé- possède dans son jardin un chou de Milan qui mesure 1m,70 de diamètre et plus de 5 mètres de circonférence. Ce chou géant est bien conformé et va donner un coeur énorme."

 

J'ai beau suivre les données de Genanet sur deux bonnes dizaines de cas, je ne découvre pas de nouvelles branches parvenues jusqu'à nous. On pourra toujours les compléter, trouver par exemple qui était Yves Debuiche et qui sont M. et Mme Alain Debuiche, parents de Tamara née en 1987, mais la tâche est ardue... à moins qu'ils ne nous contactent un jour ou l'autre.

26 novembre 2016

100ème anniversaire de la mort à Verdun de Moïse Debuiche

Debuiche Moise Photo1

 

I Le contexte familial

 

Moïse, rappelons-le, fait partie d'une fratrie de 14, tous enfants de Charles Debuiche et Zélie Lhomme. Sur les 14, 11 garçons et 3 filles avec un intervalle intergénésique de 16 mois.

 

Au jour de la mobilisation générale, le 1er août 1914, la famille a déjà connu plusieurs drames : en 1893, à 44 ans, Charles, le père, est retrouvé mort sur un tas de cailloux, lui le cantonnier à Blangy. En janvier de la même année, c'est le petit dernier Georges qui passe de vie à trépas. Ensuite Edmond meurt à 11 ans en 1897 sans qu'on sache si c'est de maladie ou d'accident. Enfin Eugène décède à 7 ans en 1898 du mal de Pott (une forme de tuberculose). Il reste donc 8 frères et 3 soeurs. Commençons par les soeurs:

 

1 Berthe, née en 1877, se marie avec Emile SUEUR qui a 35 ans en 1914. Après avoir fait son service dans un régiment de hussards (en 1899, il est cocher à Paris), il est rappelé le 7 août 1914 dans l'armée territoriale au 6è régiment de chasseurs à cheval de Lille. Il passe au 68è régiment d'infanterie en juin 1915, puis au 77è, enfin au 17è. Il est crédité d'une campagne contre l'Allemagne d'août 1914 à février 1919.

 

2 Zélie, née en 1884, se marie en 1906 avec Georges Hengebaert qui a 27 ans en 1914. Soldat de 2è classe en octobre 1907, il est réformé pour tuberculose pulmonaire en mai 1908. En décembre 1914, le conseil de révision le classe en service auxiliaire. Jusqu'en juillet 1916, il est en sursis d'appel et travaille à l'usine Heudebert de Paris. Sursis prolongé jusqu'en mars 1917. En août de la même année il passe au septième régiment de zouaves mais il est détaché aux Aciéries de France à Paris. Il est considéré comme ayant fait la campagne contre l'Allemagne du 25 septembre 1915 au 4 mars 1919. Il décède en 1922 à Blangy, laissant 6 enfants.

 

3 Angèle née en 1887. Veuve en 1909, elle se remarie l'année suivante à Amiens avec un gendarme du nom de Joseph Koehl. Jenny Debuiche, une soeur de Victor, notre premier président d'honneur, m'avait écrit qu'il lui restait une image visuelle de ce Joseph mutilé, se déplaçant à Blangy dans un fauteuil roulant. Il y meurt en 1917 à 30 ans. Il n'est pas mort pour la France. Au début de la guerre, il n'est pas constitué de régiment de gendarmes, mais rapidement ils seront versés dans les unités combattantes pour remplacer les soldats qui sont tombés et suppléer à la pénurie de cadres. Le quatrième et dernier mari d'Angèle, Gaston Vaisset avait été incorporé le 8 octobre 1912. Il est blessé à Morhange et fait prisonnier au premier jour de la contre-offensive allemande en Moselle, le 20 août 1914; il sera rapatrié le 10 décembre 1918.

 

Reprenons dans l'ordre des naissances les huit frères vivant en août 14:

 

1 Elisée, mon grand-père, a 39 ans. Il avait été réformé au motif "Aîné de veuve et d'une famille de 13 enfants". Mais appelé en novembre 1896, il est dirigé sur Lille dans la première section d'infirmiers militaires où il reste jusqu'en septembre 1897. Rappelé à l'activité le 1er août 1914, il est caporal en juillet 1916, et sergent en juin 1917. J'ai une photo de lui en tenue d'infirmier militaire devant le lycée Mariette de Boulogne-sur-Mer qui avait été transformé pour partie en hôpital militaire.

 

2 Paul a 37 ans en août 14. Il est père de six enfants (un septième naîtra après son décès, nommé aussi Paul, le père de Claude). Il est dispensé du service militaire comme soutien de famille. Mais il est quand même envoyé en novembre 1899 vers le 12è régiment d'artillerie où il est 2è canonnier conducteur. Rappelé en août 14, il arrive au corps le 10 septembre, passe au 4è régiment d'artillerie le 2 octobre 1914 et rentre du front, malade, le 30 novembre pour être rappelé le 26 décembre mais il ne rejoint pas le corps. Il meurt à Blangy en mars 1915. C'est notre premier mort de la guerre.

 

3 Léonce, le grand-père de Jacqueline, a 35 ans en août 14. En novembre 1900, il est au 7è bataillon d'artillerie à pied, 2è canonnier servant. Rappelé à l'activité par suite de la mobilisation générale le 1er août 14, il est réformé le 23 novembre pour pyélonéphrite.

 

4 Charles a 33 ans en août 14. Il avait fait ses classes au 120è régiment d'infanterie. Rappelé lors de la mobilisation générale, il arrive au corps le 12. Il est réformé le 14 janvier 1915 pour "arythmie cardiaque". Il a fait la campagne contre l'Allemagne du 12 août 1914 au 14 janvier 1915. De santé fragile? Il ne le semble pas puisqu'il vivra jusqu'à 88 ans, il est l'arrière grand-père de Stéphanie.

 

5 Victor a 29 ans en août 14. Il est le père de Victor que vous avez connu et qui est décédé en 2007. Il fait ses classes au 147è régiment d'infanterie. Réformé temporaire en février 1905, il est rappelé à l'activité en février 1907 comme soldat de 2è classe. Rappelé le 1er août 14, il est au 50è régiment d'infanterie, puis passe au 73è le 19 mai 1915, et enfin au 418è le 23 novembre 1915. Il est déclaré "mort pour la France" le 29 novembre à Vitry le François. Sa famille de quatre enfants reçoit un secours de 150 francs le 22 janvier 1916. Les circonstances de sa mort sont connues: dans la tranchée, on lui donne l'ordre de réparer le parapet (dans le civil, il est menuisier) endommagé après l'éclatement d'un obus. Au cours de la manoeuvre, il est touché à l'épaule. Evacué, il perd son sang sans qu'on puisse arrêter l'hémorragie. Aline, sa femme, aura le temps de se rendre à son chevet pour assister à sa mort. C'est le deuxième mort de la famille.

 

6 Jean né en 1888, vient d'avoir 26 ans en août 14. Forgeron de profession, il est soldat de 2è classe, passé au 2è escadron du train des équipages en 1909. Rappelé comme les autres en août 14, il arrive au corps le 5 et passe au 7è escadron du train en décembre 1915, puis au 10è en janvier 1918. Il est évacué pour sclérose du sommet du poumon gauche au centre hospitalier de Vertus dans la Marne le 21 juillet 1918. Il est noté qu'il a fait la campagne contre l'Allemagne du 3 août 1914 au 10 avril 1919. C'est le seul dans ce cas.

 

7 Moïse : j'y viendrai après Edouard.

 

8 Edouard a 22 ans en août 1914. Ajourné par le conseil de révision en 1913 pour bronchite suspecte au sommet gauche, il est dit bon pour le service armé en 1914. Il est incorporé au 46è régiment d'artillerie de campagne le 6 septembre 1914 comme 2è canonnier conducteur. Atteint de rougeole en avril 1915, il repart au front le 1er juillet 1915. Il est nommé brigadier le 17 juillet 1915. Evacué pour pleurésie le 13 mars 1916, il est maintenu au service armé en juillet 1916. Souffrant de bronchite, il est soigné à St-Malo le 14 février 1917, puis réformé temporaire à St-Brieuc le 13 avril 1917. Voici un extrait datant de 1939, traitant des cas de réforme: "Vaste plaie thoracique consécutive à une thoracotomie pour ancienne pleurésie purulente à parois ossifiées". Je vous ai déjà dit, ici-même, qu'Edouard, jusqu'à sa mort en 1959, avait gardé les stigmates de la guerre, nécessitant des soins journaliers.

 

II Evocation de Moïse

 

En exergue, je placerai ce tercet de Julien Vocance:

 

Jeunesse, grave et réfléchie

Pour avoir, merveilleux prodige,

Connu la mort avant la vie.

 

7è des 8 garçons mobilisés en août 14, à cette date, Moïse vient d'avoir 25 ans, il est menuisier-ébéniste, promis à un bel avenir. Il a travaillé avec son frère Victor, menuisier lui aussi. En juillet 1913 , il habite à Boulogne-sur-Mer et en novembre de la même année à Dunkerque, sans doute pour des raisons professionnelles. On possède des photos de lui qui le montrent rieur, l'oeil vif. Sur le plan militaire, il est classé "bon service armé", et est incorporé le 4 octobre 1910 comme canonnier servant, puis maître-pointeur le 7 juin 1912. Le maître-pointeur manipule le collimateur de visée, la jauge, les manivelles de dérive et de hausse : il est considéré comme "l'intellectuel du groupe". Rappelé à la suite de la mobilisation générale, il passe du 2è régiment d'artillerie lourde au 111è le 1er novembre 1915. Il est nommé brigadier le 8 mai 1916.

 

Puique nous célébrons à cinq jours près le centième anniversaire de la mort à Verdun de Moïse Debuiche, rappelons l'étendue des pertes du côté français : 1,3 million de tués, 4,2 millions de blessés sur 16,7 millions d'hommes mobilisés, soit un homme sur trois tué ou blessé. Les pertes selon les armes varient de 23% dans l'infanterie à 6% (on ne peut dire seulement) dans l'artillerie et le génie.

 

D'après l'historique du 2è RAL publié en 1920 à Soissons, le régiment est armé de canons de 155 mm court, à tir rapide (CTR), modèle 1904, dont la portée est de 6,3 kms, capables de tirer cinq à six coups par minute. En réalité si les canonniers suivent cette cadence, le canon chauffe et menace d'exploser. D'autre part, la portée n'est pas aussi longue qu'il est indiqué. Quarante obusiers forment une batterie et trois ou quatre batteries un groupe qui entre dans la composition du régiment. C'est avec ce matériel au demeurant performant que le 2è groupe du 2è RAL entre en campagne et participe aux combats de Champagne de décembre 1914 à mars 1915 devant Perthes, Mesnil-les-Hurlus, la Cote 200 et le fortin de Beauséjour. En juillet, c'est la première bataille de la Somme. Début septembre, il revient en Champagne et prend part à l'offensive devant Tahure, le Trapèze et sa butte du Mesnil. Tahure où le sous-lieutenant Guillaume Apollinaire écrit au coeur de la bataille:

 

Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit

Dans les éboulements et la boue et le froid

Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture

Anxieux nous gardons la route de Tahure

 

Du 26 septembre au 30 octobre 1915, le 2è RAL reste en position au bois des Lièvres. Sous l'attaque allemande du 29 octobre, le bombardement est continu. Le groupe perd douze officiers et la moitié de son personnel est mise hors de combat. Le philosophe Alain dans ses Souvenirs de guerre dit que les groupes manquent de portée alors que les Allemands portent à 12 km, d'où la nécessité pour les batteries françaises de se rapprocher des lignes, ce qui les met inévitablement en danger. Si l'on se réfère au Journal des marches et opérations du régiment (JMO), on découvre les précisions suivantes : dans la nuit du 8 au 9 octobre, le bois des Lièvres est violemment bombardé par des obus de tous calibres, lacrymogènes et suffocants. Au matin, un schrapnell (obus à fragmentation) éclate, percutant un abri où sept hommes sont enterrés. On les déterre. Ils sont légèrement atteints sauf le 2è canonnier Legendre qui est fortement pressé et le canonnier Caron, pris d'une crise d'épilepsie qui dure plusieurs heures. Le 9, un obus suffocant tombe sur une tranchée où se trouvent le lieutenant Chivot et le sous-lieutenant Bassereau. Le premier, enterré dans une atmosphère asphyxiante, est retiré quelques minutes après et emporté sans connaissance. Il mourra le 22. Le second se dégage de lui-même et est évacué. Il reviendra au combat le 30 novembre. Il est certain que ce sont ces événéments qui valent à Moïse une première citation à l'ordre de l'armée le 21 octobre. En voici l'énoncé : "Le maître-pointeur Debuiche, son chef de pièce ayant été blessé et plusieurs hommes d'autres pièces enterrés dans un abri, leur a porté secours efficacement pendant la continuation du bombardement et maintenu sa pièce dans l'ordre".

 

Attardons-nous un moment sur cette offensive de Champagne, interrompue le 7 octobre, comme le précise Jean-Yves Le Naour dans 1915, l'enlisement. L'état-major a tiré la leçon de la campagne de l'Artois où les stocks de munitions avaient été épuisés, ce qui rendait toute action impossible. La préparation d'artillerie avait commencé le 4 octobre sans beaucoup de résultats. Etant donné le mauvais temps, les réglages d'artillerie avaient été approximatifs et les observations aériennes pénalisées. L'assaut est donné dans une brume épaisse et seule la butte de Tahure est prise! Joffre se félicite pourtant d'avoir adopté cette stratégie et fustige courageusement la troupe qui selon lui manque d'instruction militaire. Pétain a compris le premier que l'effort industriel est indispensable pour produire des armes et des munitions en grande quantité et que l'effort moral et le sacrifice des troupes ne viennent qu'après l'effort industriel. Mais avant que Joffre ne soit remplacé à la tête des armées et que Pétain ne dirige à Verdun, il se passera encore de longs mois au cours desquels les sacrifices seront inutiles.

 

Mais revenons sur le terrain des artilleurs où la batterie de Moïse et celles de son groupe reçoivent l'ordre de consolider les maigres résultats de septembre. Réglages et reconnaissances sont nécessaires pour parer à toute contre-offensive allemande. L'ennemi déclenche de terribles attaques fin octobre contre Tahure et sa butte et vous connaissez la suite. Le 2è RAL est relevé et le 1er novembre 1915, il devient le 111è RAL. Ces réorganisations ont lieu dans toutes les armes car le nombre de soldats mis hors de combat (tués, disparus, blessés, malades, prisonniers) est tel que les unités sont décimées.

 

Après avoir cantonné quelque temps, le nouveau régiment part le 29 février 1916 pour occuper une position de batterie sur la côté de Belleville au nord de Verdun, sur la rive droite de la Meuse, un peu à l'ouest du fort de Belleville où les hommes doivent construire l'emplacement des pièces et des abris à munitions. Verdun. Moïse est à Verdun dès février. Verdun : 300 jours et 300 nuits de combats acharnés de février à décembre, 6 obus par m², 720000 victimes dont 381600 Français tués, disparus ou blessés. 1400 pièces d'artillerie allemandes contre 650 canons français : le déséquilible des armes est flagrant.

 

Emile Gillet, qui a participé à la bataille, constate :

"A Verdun une division, dans l'espace d'une relève laisse en moyenne 4000 hommes. La terre elle-même change de forme; les collines, sous les coups de rabot des obus perdent leurs reliefs, leurs contours. Le paysage prend cet aspect jamais vu, cet aspect de néant, cette apparence croulante de fourmilière et de sciure... On ne vit plus...on ne dort plus, on ne mange plus, on range les morts sur le parapet, on ne ramasse plus les blessés. On attend le moment fatal dans une sorte de stupeur, dans un tressaillement de tremblement de terre, au milieu du vacarme dément." Paroles de Verdun éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.257.

 

Le Naour démontre comment l'impréparation de l'état-major qui ne croyait pas à une attaque allemande sur Verdun mais sur la Somme, malgré des indices concordants, a failli tourner au désastre. Joffre, le grand responsable, avait fait pratiquement désarmer le fort de Douaumont pris le 25 février par une poignée d'hommes partis en reconnaissance. Par hasard! 60 Français le défendaient. La presse allemande fait état de combats acharnés qui n'ont pas eu lieu et célèbre l'exploit. Grand silence dans la presse française qui finira par reconnaître de terribles combats pour la reprise héroïque du fort. Mais tout est faux. Il faudra 100000 hommes pour le reconquérir en octobre. Encore heureux que l'offensive ennemie ait été retardée d'une semaine à cause des intempéries, ce qui a permis aux forces françaises de se préparer in extremis.

 

Le 25 février 1916, au deuxième jour des opérations allemandes, voici ce qu'écrit le médecin auxiliaire René Prieur, "enseveli quatre fois sous des trous d'obus" en portant secours aux blessés : "Bien qu'il faisait(sic) froid et grelottant, boueux, sanglant, j'ai dormi de fatigue... songeant à la mort possible, à l'éternité peut-être très proche et troublante, revoyant rapidement ma vie et me recommandant à Dieu" (cité par Le Monde des 21 et 22 février 2016). Et René ne vit pas les combats des tranchées...

 

Ou encore voici le témoignage d'Albert Garnier le jeudi 2 juin 1916.

 

"Ce que je vois est affreux. Les cadavres sont légion; ils ne se comptent plus; on marche sur les morts. Des mains, des jambes, des têtes et des cuisses coupées émergent de la boue et on est contraint de patauger là-dedans, car c'est encore dans ce méchant fossé à moitié comblé par endroits qu'on peut espérer se dissimuler un peu. Ici, un soldat est tombé à genoux; il bouche le passage; on lui grimpe sur le dos pour avancer; à force de passer sur lui, on a usé ses vêtements, on marche sur sa peau." Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.304

 

Du côté allemand, les lettres des combattants recèlent les mêmes accents tragiques:

 

"Je vous fais savoir que je suis encore en bonne santé, bien qu'à moitié mort de fatigue et d'effroi. Je ne peux pas vous écrire tout ce que j'ai vécu ici, cela a dépassé de loin tout ce qui avait eu lieu jusqu'à présent. En trois jours environ, la compagnie a perdu plus de cent hommes, et bien des fois je n'ai pas su si j'étais encore vivant ou déjà mort... J'ai déjà abandonné tout espoir de vous revoir". Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.129

 

Les premiers combats ont montré que les ouvrages de défense étaient pulvérisés par la puissante artillerie allemande malgré les fortifications de Séré de Rivières (1,50m à 2,50m de béton). De même pour Thiaumont, rayé de la carte à la fin de la guerre, qui est attaqué le 20 juin et pris le 23, jour de la mort de Moïse.

 

A partir de la fin février 1916, Moïse est donc partie prenante de la défense de Verdun. Pendant toute la bataille, la batterie effectue, suivant le JMO, des tirs de barrage à la demande de l'infanterie. Tirs sur le grand ravin de Louvremont, sur Vacheauville, la Fontaine Saint-Martin.

 

Lucien Gissinger écrit pour le 3 mars :

 

"Notre artillerie pilonne le village de Douaumont. Enfin nous arrivons auprès de la ferme de Thiaumont en flammes, c'est de là que doit partir l'attaque... Nous partons au pas de gymnastique. Il y a 300 mètres à parcourir en terrain découvert avant d'arriver aux tranchées boches. Leurs mitrailleuses crachent, les balles sifflent, les obus éclatent derrière nous en tir de barrage... le but approche, mais nous sommes à bout de souffle... Les Boches de la première ligne jettent leurs armes, lèvent les bras en criant: "Kameraden". Sans pitié les nôtres les fusillent à bout portant car nous avons reçu l'ordre de ne pas faire de prisonniers... En fouillant dans ma poche de capote pour prendre des cartouches, je m'aperçois qu'au cours de l'attaque, une balle allemande a traversé ma poche et sectionné complètement une cartouche. Une grenade se trouvait également dans cette même poche. Si elle avait été frappée par cette balle, c'était ma fin." Paroles de Verdun, éditions Perrin, Lettres de poilus réunies par J-Pierre Guéno, 2006, p.106

 

Revenons à Moïse : le 8 mars, une pièce éclate, blessant dix hommes : la pièce a reçu un obus ennemi tombé devant elle au moment du tir. Tirs encore sur la Côte du Poivre. Avril et mai, ce sont encore des attaques allemandes auxquelles il faut résister. C'est une période très dure en raison du mauvais temps, de l'intensité et de la continuité des tirs. Les observations se font soit du bois de Harvé, soit de l'ouvrage de Thiaumont. Le JMO note pour mai 1916 des préparations d'attaques sur les carrières d'Haudremont pour le compte du 107è régiment d'infanterie. Des opérations préliminaires sont menées par un bataillon de chasseurs qui font quatre-vingt-treize prisonniers et s'emparent de quatre mitrailleuses. Le lendemain, le 22 mai, une attaque est lancée sur Douaumont mais les 23 et 24 les Allemands contre-attaquent sur Douaumont et Haudremont. Le début de juin est assez calme sur le front de la division, mais, à compter du 7, l'ennemi s'avance jusqu'aux abords de l'ouvrage de Thiaumont. Le 20 juin commence un très violent bombardement, entrecoupé d'attaques de nuit sur tout le front. La batterie reçoit de nombreux schrapnells de 77 à obus suffocants, qui tombent très exactement sur la batterie. Lorsque l'infanterie demande des tirs de barrage pour se dégager, les hommes ne peuvent, sous le masque à gaz, faire les efforts nécessaires au transport des obus. Beaucoup enlèvent alors le masque pour accomplir leur devoir. Au matin du 23, un grand nombre ne peuvent plus tirer et on doit les évacuer. La batterie perd le sous-lieutenant Bassereau et le lieutenant Andréani, un maréchal des logis, deux brigadiers dont Moïse, deux maîtres-pointeurs et dix-neuf servants ou conducteurs. Vu les pertes, elle est remplacée au matin par deux officiers et un peloton de la 10è batterie et elle tire toute la journée du 23 et toute la nuit du 23 au 24. Elle est relevée le 24 au matin et forme avec d'autres pelotons une nouvelle batterie. Le 1er juillet elle est définitivement relevée. Pour elle, Verdun, c'est fini. A une semaine près, Moïse passait le cap. Cette fois, la chance avait tourné. Les précisions sur lesquelles je me suis appuyé sont peut-être de la main du capitaine Allard.

 

J'évoquais à l'instant le manque de chance de Moïse. Sachez que le 23 juin, Pétain, au téléphone avec le Grand Quartier Général, prudemment installé à Chantilly, avait envisagé l'abandon de la rive droite de la Meuse. Quel aurait été le sort de Moïse si le GQG avait été d'accord?... il restait encore vingt-neuf mois de guerre...

 

Sa conduite, en sa dernière journée de guerre et de vie, lui vaut le 12 juillet 1916 une deuxième citation, cette fois à l'ordre du régiment : "A montré pendant la nuit du 22 au 23 juin le plus grand courage, dirigeant ses pièces sous les gaz suffocants avec un petit nombre d'hommes, les autres ayant été mis hors de combat. Mortellement atteint à son poste. Croix de guerre avec palmes". A noter que le capitaine Allard indique que Moïse meurt de ses blessures et que l'autre brigadier Vallée n'en meurt pas. Je cite encore ce que Régis Maucolot dans sa thèse sur les pharmaciens dans la guerre 1914-1918 écrit en 1996 : Dans la nuit du 22 au 23 juin 1916, les Allemands attaquent au nord-est de Verdun, vers le fort de Souville, avec environ 100.000 obus toxiques marqués d'une croix verte. Le gaz, mélange de chloroformiate de méthyle tri- et dichloré, s'accumule dans les ravins qui étaient visés, provoquant l'évacuation de 1.600 intoxiqués et la mort de 80 hommes.

 

Après Verdun, ce sera la Somme que Joffre attendait avec impatience, alors que ce n'était pas l'heure. La bataille commence le 24 juin pour un gain d'une dizaine de kilomètres et la perte de 200.000 Britanniques, 170.000 Allemands et 66.000 Français. Après ces terribles saignées de 1916, il faudra encore, comme vous savez, presque deux années de guerre pour mettre à genoux l'un des belligérants.

 

John Dos Passos, l'Américain futur prix Nobel de littérature, témoigne pour ces années dans l'Initiation d'un homme, 1917 :

 

"Mais, nom d'un chien, je veux être capable d'exprimer plus tard tout cela, toute cette tragédie et son hideuse excitation. J'en ai vu si peu. Je dois en approfondir l'expérience, de plus en plus -les doigts gris et crochus des morts, l'aspect noirâtre des corps sales, mutilés, leurs soubresauts dans les ambulances, l'ample tam-tam des canons, ce prodigieux déchirement quand ils explosent, ce sifflement des obus semblables à de colossales bécasses, leur grondement satisfait quand ils approchent du but, la gamme sonore des fragments- une harpe brisée en plein air- et le crépitement des pierres et de la boue sur votre casque" (Editions Gallimard collection folio p.42)

 

"Jour qui se lève dans un désert de troncs ébréchés et de terre défoncée; sur un ciel jaune, l'éclat jaune des canons, accroupis comme des crapauds dans un fouillis de fils de fer et de tas de douilles en cuivre et de caisses éventrées. De longues routes creusées d'ornières et jonchées de douilles, qui s'allongent à travers les bois dévastés, dans le jour jaune; et, tout au long, des grappes enchevêtrées de fils téléphoniques. Du camouflage arraché qui voltige, gris verdâtre, sur un ciel d'un jaune ardent, et les guirlandes vertes des gaz qui s'enroulent parmi les arbres défeuillés, noirs et fantastiques. Au long des routes, des camions retournés, des mulets crevés engagés dans leurs traits, à côté de caissons fracassés, des corps en tas dans leur longue capote bleue, à demi enterrée dans la boue des fossés". (p.138)

 

"Et tous ces hommes de par-delà le coteau et le bois, que pensaient-ils? Mais comment auraient-ils pu penser? Les mensonges dont ils étaient gavés les empêcheraient éternellement de penser. Ils n'avaient jamais eu l'occasion de penser avant qu'on les jetât dans la gueule du monstre, où il n'y avait place que pour le ricanement, la misère et l'odeur du sang." (p.161)

 

Je voudrais aussi évoquer une photo de Moïse, bordée de noir, prise le 27 décembre 1915 : on le voit appuyé sur le fût d'un canon abrité derrière une construction, il est souriant, l'air avenant, confiant. L'artilleur n'est pas en principe un homme de tranchée couvert de boue, blême, hâve, poilu! Au dos de cette photo, une toute petite phrase, datée du 31 décembre, qui m'a longtemps fait frémir, écrite d'une plume élégante, comme tant d'hommes du peuple que l'on a sacrifiés savaient alors le faire : "Demain, l'année de la fuite, j'espère ...!" Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette expression, elle n'est pas là le fruit d'un désir irraisonné de prendre la fuite, en un mot de déserter -comme je comprendrais ce désir après avoir lu tant de livres et de témoignages sur cette guerre- non, dans le jargon des poilus, la fuite, c'est l'arrêt des hostilités, de l'horreur des corps éclatés, de la boucherie sanglante avec la perspective du retour au foyer. C'est le sage désir que cesse la barbarie! C'est, comme l'écrivait Georges Pérec, la fin de l'histoire "avec une grande hache".

 

Et terminer par les faits que Jacqueline a établis en examinant deux cartes postales envoyées notamment le 9 mars 1921 par Léonce, son grand-père, à sa femme Cécile et à sa fille Yvonne : Léonce et Elisée se rejoignent le 7 mars à Paris pour se rendre à Verdun où ils retrouvent Edouard dans le but de rapatrier le corps de Moïse, lequel avait été enseveli dans sa capote par ses camarades de guerre dans un quartier de Verdun nommé Glorieux. Et le 11 mars 1921, au retour du cercueil, le maire de Blangy, Monsieur Gustave Sallé, prononce un discours devant la population au premier rang de laquelle se trouve Zélie, la mère des martyrs. Ecoutons-le :

 

" Ces deux jeunes gens que nous avons vu naître pour ainsi dire, que nous avons tous connus et aimés, que nous avons vu grandir au milieu de nous, étaient tous deux des modèles dans la vie civile.

D'un caractère aimable, foncièrement bons, serviables, bons fils et bons camarades, ayant montré les plus heureuses dispositions pour la lutte pour la vie : l'un d'eux, Moïse, guidé en cela par ses aînés, avait commencé à chercher sa voie dans le commerce où il devait sûrement réussir. L'autre, ouvrier habile et consciencieux, voyait également en toute tranquillité d'esprit l'existence s'ouvrir devant lui. Il n'appréhendait pas l'avenir, ses qualités naturelles lui permettaient de l'affronter avec toutes les chances de succès."

 

Le maire retrace ensuite le parcours de Moïse : " Bon soldat, aimé de ses chefs, il devenait rapidement brigadier-chef, puis maréchal des logis ... et après avoir traversé des heures terribles, il succombe en pleine bataille en 1916 devant Verdun de sinistre mémoire, expirant presque au pied de sa batterie que malgré les vagues de gaz asphyxiants il ne voulut abandonner que lorsqu'il eut senti ses forces épuisées.

 

Après trois heures d'atroces souffrances, il expirait.

 

A cette mère vaillante malgré tout au milieu des plus meurtrières angoisses, si durement frappée dans ses affections les plus chères, j'apporte ici mon salut respectueux. Huit enfants mobilisés : trois morts. Tel est le triste bilan de son calvaire et de ses peines.

 

Pour nous qui savons comment tous ont su par leurs propres moyens se creuser leur sillon dans la vie, arriver à des situations sociales parfois brillantes grâce à leur bonne volonté, au service d'une intelligente activité, et cela sans jamais oublier les liens de famille qui les unissaient tous, qu'il est beau de les voir ici tous groupés dans le pieux et dernier devoir qu'ils ont tenu de rendre les premiers à leurs bien aimés frères.

 

Moïse et Victor étaient eux aussi animés des mêmes sentiments d'affection et d'esprit de fraternité. (...)

 

Mon brave petit Moïse Debuiche, tu avais vingt-cinq ans, tu étais beau de jeunesse, de santé, d'enthousiasme et de bonne volonté, tu avais à peine goûté à la coupe de la vie qui s'ouvrait à toi pleine de promesses. Tes yeux sont fermés!... Ils ne verront plus l'astre rayonnant du jour, les riants côteaux de tes jeunes années, le doux regard de ta bonne mère, tu n'entendras plus la voix de tes frères, de tous tes amis!

 

Tu as perdu tout cela, c'est vrai, mais console-toi, tu as illustré ton nom et celui de tous les tiens.

 

Tu vas reposer sur un lit de gloire, tu as gagné l'immortalité !"

 

Debuiche Moise Photo1 (1)

Villeneuve, le 7 mars 2016

 

 

 

 

26 juillet 2010

Charles DEBUICHE (1746-1794)

 

Petit-fils de Nicolas DEBUICHE et de Marie Hélène SALLÉ, fils de Nicolas , couvreur de tuiles, et de Jeanne GOUY, Charles François Joseph naît le 12 juin 1746 à Blangy-sur-Ternoise . Il se marie à Teneur, un petit village voisin, en 1768 avec Marie Marguerite DUHAUTOIT, la fille d'un modeste ménager. Le couple s'intalle provisoirement à Crépy, hameau de Teneur, où naîtra leur fille aînée en avril 1769. Sur l'acte de baptême, Charles est dit manouvrier, c'est-à-dire un homme sans biens propres qui loue la force de ses bras. Quand leur fille décède à Crépy en 1772, Charles est peigneur de laine ; le couple habite désormais dans la paroisse de Blangy. En 1771, à Blangy, à la naissance de son deuxième enfant, notre ancêtre Pierre Joseph Bernard , Charles est propriétaire, ce qui ne manque pas de nous surprendre. Les quatre derniers enfants seront aussi blangiacquois: Pierre François Joseph né en 1774, Célestin Joseph en 1776, Marie Anne Joseph en 1779, et Alexis François Magloire en 1782. Sur les actes de 1774 et 1776, Charles se déclare ménager. Et là, tout s'éclaire: il fait partie de ces innombrables petits propriétaires, à la tête de 5 à 10 hectares, obligés pour vivre d'avoir un complément de ressources, comme le peignage de laine qui consiste à débarrasser la matière de ses impuretés avant le filage . Marie Marguerite, sa femme, est elle-même fileuse. Sur l'acte de naissance de Marie Anne en 1779, Charles est une nouvelle fois peigneur de laine . En 1782, à la naissance d'Alexis Magloire, il est manouvrier. Les petits propriétaires paysans comme lui prêtaient à l'occasion leurs bras aux gros fermiers. (Les campagnes en France au XVIè, XVIIè, XVIIIè siècles, B. Garnot, Ophrys, 1998). En 1789, au décès de son frère Antoine, tonnelier à Incourt, je relève encore la profession de peigneur de laine.

 

La dernière trace que j'ai trouvée de lui à Blangy, c'est sa signature , d'une écriture penchée et bien appuyée, au bas de l'acte de décès de sa mère, Jeanne GOUY, le 21 mars 1792. L'acte de mariage en 1809 de sa fille Marie Anne , qui mourra presque centenaire, le déclare décédé à St-Omer sans plus de précisions.

 

Longtemps, je me suis demandé pourquoi ce petit propriétaire-peigneur de laine s'était rendu à St-Omer , une ville avec laquelle la famille n'entretenait pas de liens particuliers. Y avait-il été attiré par la période, pris soudain d'une fièvre révolutionnaire? Peut-être avait-il été raccourci au cours d'un épisode sanglant? Je profitais de la publication d'un historien audomarois sur le sujet pour poser, il y a quelques décennies, la question fatidique: « Dans la liste des guillotinés que vous avez étudiés, avez-vous recensé le nom DEBUICHE? » L'érudit m'avait affirmé qu'il n'en était rien. Je respirais!

 

Il a fallu la création de notre association en 2002 pour que je reprenne la quête de cet ancêtre direct. Et en avril 2004, une rapide consultation de l'état civil audomarois aux Archives d'Arras n'a rien donné. Je n'étais pas loin de penser que l'indication de décès sans date à St-Omer dans l'acte de mariage de sa fille n'était pas fiable, puisque l'usage voulait depuis l'instauration de l'état civil que l'Officier donnât avec soin sur un tel acte les mentions complètes de décès des ascendants. Après tout, je pouvais penser que l'acte de décès de Charles avait peut-être été recherché en vain à l'époque. J'en arrivais à la conclusion que la mention de St-Omer était inexacte, confondue avec une commune limitrophe, ce qui allait compliquer une future recherche .

 

En désespoir de cause, de retour aux Alliès, je me suis cependant décidé à écrire à la Bibliothèque d'Agglomération de St-Omer que m'avait recommandée un chercheur, louant son zèle pour l'aide apportée en matière d'actes notariés. Mais je restais persuadé qu'une demande aussi vague: décès de Charles DEBUICHE entre 1792 et 1809, me vaudrait la réponse quasiment sempiternelle: « Les registres d'état civil de plus de cent ans sont consultables au service des archives municipales ouvert au public du lundi au vendredi » etc...à moins que je ne tombe sur une association généalogique en mal d'influence qui souffle aux Mairies de renvoyer le demandeur à leur propre organisation, décrétant ainsi: « Cette activité n'est pas la priorité ni la mission des personnels des services de l'état civil qui doivent d'abord répondre aux citoyens de leur commune » etc...

 

Bref, j'écris malgré tout, et, le 4 mai 2004, je reçois une lettre du Conservateur en Chef de la Bibliothèque, Mme LE MANER, m'invitant immanquablement à lui rendre visite, du mardi au samedi, vous connaissez la suite... Mais elle consent à lever un petit coin du voile: elle a retrouvé dans les tables décennales un certain Charles DUBUIS, décédé en 1794 à St-Omer. Et d'ajouter: « Peut-être s'agit-il de l'ancêtre que vous recherchez car ce dernier est dit domicilié à Blangy, district de St-Pol, et travaillait à Blendecques, âgé de 51 ans, époux de Marie Marguerite DUAUTOIT .»

 

En dépit d'informations lacunaires, c'était sûr, je tenais bien notre Charles DEBUICHE: les références à Blangy, au nom de l'épouse, à l'âge même, certes approximatif mais c'est souvent la règle dans la période qui nous occupe, tout coïncide. Je reste confondu néanmoins par le changement de nom de famille: les témoins sont capables de citer le nom de l'épouse, mais notre patronyme est estropié, à tel point que lors de nos recherches aux Archives départementales d'Arras nous avions été incapables , Marylène et moi, de le repérer! Il aurait fallu être plus vigilants, ne pas oublier qu'à Blangy même où le nom est archiconnu, en plein XIXè siècle, le nom est encore parfois écrit DUBUICHE. Aux XVIIè et XVIIIè siècles, DEBUISSE, sans être fréquent, se rencontre plusieurs fois. D'ailleurs, Charles signe son acte de mariage DE BUICHE, mais François DEBUICHE, sur le même acte et tout à côté de son propre cousin signe, lui, François DE BUISSE! Et reprenant l'acte de décès de Jeanne Gouy, je constate que Charles est appelé BUICHE dans l'acte et qu'il signe comme je l'ai dit DEBUICHE .

 

La quête aboutit en partie, mais je reprends la plume pour en savoir plus sur le quantième et le mois de décès, ainsi que sur la profession. Et une semaine plus tard, Mme le Conservateur me lâche quelques précisions supplémentaires: « le vingt neuf frimaire, troisième année républicaine » Charles DUBUIS a été retrouvé « noyé dans le fossé de la mi-lune, etc... » Pour en savoir plus, elle me conseille de me rapprocher d'une association de généalogie. Je comprends qu'il est inutile d'insister, que je n'aurai pas le texte intégral de l'acte et avant même d'envoyer un courriel à l'Association socioculturelle de Blendecques qu'elle me recommande, je cherche ce que peut être un fossé de mi-lune. Le Larousse du début du XXè siècle qui me vient de mes grands-parents, Élisée et Pauline, me révèle qu'en architecture militaire, « la demi-lune (et non le mi-lune) a la forme d'un angle aigu, plus ou moins ouvert, d'abord demi-circulaire, d'où son nom. » Il ajoute « Les fossés des places fortes sont quelquefois pleins d'eau... Certains fossés peuvent être inondés à volonté...d'une largeur...jusqu'à 30 ou 40 mètres. »

 

Le fossé de la demi-lune renvoie donc aux fortifications de St-Omer. Les bribes de l'acte de décès soulèvent de nouvelles interrogations: St-Omer est -elle bien fortifiée en cette fin du XVIIIè siècle? Que va faire Charles sur les remparts de St-Omer, alors qu'il travaille à Blendecques? Est-ce dans le cadre de son travail qu'il s'y rend? Si Mme le Conservateur en Chef avait fait relever la profession de Charles... Elle n'indique pas non plus par qui il a été retrouvé noyé: des collègues de travail? des passants? des policiers? S'agit-il plutôt d'un accident?d'un suicide? d'un crime? Comment savoir?

 

Je demande donc à l'association de Blendecques la transcription complète de l'acte de décès. Trois jours plus tard, Mme Janine BERTHELOOT me donnera satisfaction. Voici l'acte complet, tel que j'en ai eu connaissance:

 

 

« Aujourd'hui vingt neuf frimaire troisième année de la république cinq heures après-midi en la maison commune de St-Omer, par devant moi officier public sont comparus pierre barrière brigadier des sergents de police et antoine duelbat sergent de police agé de 38 ans et demeurant en cette commune; lesquels ont déclaré que charles dubuis, jardinier et peigneur de laine domicilié à Blangy district de St-Pol travaillant dans la commune de Blendecques, époux de marguerite marie duhautoit est décédé noyé dans la fosse de la demi lune au dessus de la première barrière de la porte du brule, déposé dans la cour de cette maison commune d'après cette déclaration je me suis sur le champ rendu dans la cour et me suis assuré de la mort et est dressé le présent acte que j'ai signé avec les comparus, cabaret officier public. »

 

 

Les différences avec les premières indications données par les courriers précédents sont minimes: Marie Marguerite est devenue Marguerite Marie; DUAUTOIT est écrit ici avec un H; le fossé de mi-lune devient la fosse de la demi lune. L'acte reste donc à lire, comme toujours, mais nous disposons maintenant de tous les éléments. Claude FLOURE, le président de l'Association de Blendecques, me précise que « St-Omer était fortifiée, le démantèlement des fortifications date de la fin du XIXè siècle. Le plan relief de 1757, en cours de restauration, doit être de nouveau installé au musée des Invalides en 2005. »

 

Revenons à l'analyse de l'acte de décès:

 

  • -le 29 frimaire an III du calendrier républicain correspond à la date du 19 décembre 1794 du calendrier grégorien. C'est un vendredi.

     

  • -la qualité des comparants, le brigadier et un sergent, indique que l'affaire a été prise au sérieux dans la municipalité audomaroise. Y a-t-il eu enquête de police ou s'est-on contenté d'identifier le cadavre? A-t-on gardé la trace d'éventuels écrits? Voilà ce qu'il faut encore découvrir.

     

  • -Charles est dit jardinier et peigneur de laine, travaillant à Blendecques; à Blangy, il était ménager et peigneur de laine. Pourquoi a-t-il quitté son petit domaine? Il est vrai qu'à l'approche de l'hiver celui-ci ne requiert pas beaucoup de soin.

     

  • - Sa présence à St-Omer, à la fin de l'automne, n'est pas élucidée: suicide, meurtre, accident ?

     

  • -Il serait aussi intéressant de savoir d'où vient l'eau qui alimente les fossés. S'agit-il de l'Aa qui naît sur le plateau artésien et arrose Blendecques avant St-Omer? Si tel est le cas, on pourrait émettre la conjecture d'un accident survenu au cours de son travail de jardinier à Blendecques, et d'un corps retrouvé noyé dans le fossé de la demi-lune, à deux ou trois kilomètres de là.

     

  • -Mais Charles est « décédé noyé dans la fosse de la demi-lune au dessus de la barrière de la porte du brule » Que signifient exactement ces indications précises? Permettent-elles de garder l'hypothèse d'un corps à la dérive? A défaut de connaître le plan, on doit surseoir à toute conclusion.

     

Je recours une nouvelle fois au président de l'association de Blendecques pour lui demanders'il existe des vestiges de la porte du Brûle malgré le démantèlement des fortifications, et s'il se pourrait que les comparants, brigadier et sergent, aient rédigé un rapport sur les circonstances étranges de la mort de Charles DUBUIS. Une telle pièce pourrait-elle se trouver dans les archives de St-Omer? Mais, cela fait deux mois que j'ai posé ces questions qui restent aujourd'hui en ce début du mois d'août 2004 sans réponses.

 

C'est pourquoi je prends la décision de renouer le contact avec Mme le Conservateur en chef.

 

Le 5 août 2004, je lui demande si une enquête a été diligentée dont les archives de St-Omer auraient conservé la trace puisque les circonstances de la mort de Charles sont étranges: accident, suicide ou meurtre? Le 31 août, j'apprends en réponse que le fonds d'archives ne comprend pas les comptes rendus de police. C'est pourquoi je m'adresse alors aux Archives départementales du Pas -de-Calais et en l'espace de quatre jours, j'obtiens une réponse de son directeur, M. IUNG. Une longue réponse où il m'expose que le juge de paix était à l'époque révolutionnaire chargé de l'enquête initiale pour toutes les affaires criminelles. Mais les archives de la justice de paix de St-Omer sont encore en désordre et en attente de classement. Le directeur décide cependant d'y jeter un coup d'oeil et , par chance, comme il le dit lui-même, il trouve un procès-verbal d'examen du corps d'un noyé en date du 28 frimaire an III, soit la veille de l'inscription du décès de Charles sur l'état civil de St-Omer. Il me joint la photocopie des six pages du procès-verbal dont je vais vous faire la lecture avant de vous le commenter.

 

TRANSCRIPTION

 

 

Procès-verbal d'examen d'un corps en date du 28 frimaire an III.

 

Justice de paix de St-Omer

 

 

L'an trois de la republique francaise une et indivisible Le vingt huit frimaire onze heures du matin

 

Nous Louis joseph auguste Deschamps juge de paix de la première section de la commune de St omer et commissaire de police de seureté, y demeurant section A rue de six fontaines n°13

 

Sur l'avis que nous a été donné quil existe le cadavre dun homme qu'on dit etre noyé a la porte du Brulle cidevant St michel en cette commune

 

Etant accompagné

 

des citoyens jacques magnier notre secretaire greffier de jean Billeau, marchand et paul francois Martel aussi marchand et notables demeurans en cette commune dont nous avons requis L'assistance a L'effet d'etre en leur présence procedé aux opérations ci après Dont nous Leur avons fait connoitre lobget

 

et du citoyen jean baptiste vandamme officier de santé attaché à la commune y demeurant Section C rue de la convention n°10 aussi requis de se trouver audit lieu pour y visiter la personne morte rappellé cidessus lequel officier de santé a pretté en nos mains le serment de proceder a ladite visite et de déclarer verité

 

nous sommes transportés a la porte ditte du brulle près du fossé de la demi lune au dessus de la premiere barriere ou etant accompagné que dessus nous avons trouvé sur le bord dudit fossé un cadavre dhomme agé d environ cinquante cinq ans revetu d'un habit de drap jaune une veste bleue doublé de meme un vieux pantalon de siamoise rayé en bleue des souilliers de lisiere et un chapeau retroussé

 

ayant fait fouiller dans ses poches avons trouvé un étuit de pipe un couteau pliant a manche de corne, et deux boucles a jartiere de composition,

 

nous n'avons eu aucune reconnaissance de l'indentité de la personne morte, personne n'ayant pu la reconnaître nous avons requis ledit citoyen vandamme d'en faire la visite a linstant a quoi procedant ledit officier a remarqué et dit mort noyé sans lui avoir trouvé aucune blessure qui puisse indiquer que le quidam soit mort de maladie ou de tout autre mort violente

 

ce fait Est comparu le citoyen pierre joseph francois Dupont cordonnier demeurant en cette commune agé de vingt neuf ans lequel a declaré que ce matin vers le neuf heures et demi du matin ayant vu du monde assemblé audessus deladite barriere quil y fut et vit ledit cadavre dans le fossé rappelle cidessus la tete au dessus de leau et son chapeau a peu de distance de lui qu'il aida a le retirer de leau et deposa ledit cadavre sur le bord du fossé lequel fait declaration et resulte que le quidam n'a point eté homicidé mais quil est mort noyé et toutes les parties présentes signés notre present procés verbal

 

signés J B van Damme p Dupont j Billau pl fr martel Bouton

 

Et attendu que ledit cadavre n'a pu etre reconnu et quil est de toute necessité de constater de son etat et de l'indentité de sa personne avons ordonné quil serait transporté sur le champ dans la cour de la commune pour y etre et y rester pour y etre reconnu sil est possible Et i etant deposé l'avons fait fouiller de nouveau et avons trouvé dans ses poches des assignats enveloppés dans un morceau de papier de differentes valeur scavoir un de dix livres deux de cinquante sous, deux de quinze sous et trois de dix sous formant ensemble une somme de dix huit livres sur lequel papier etait ecrit des notes concus en ce terme memoire des journées concernant la manufacture du citoyen ridon fª (?) et citoyen si vous voulez avoir de lhuile a Blendecque il faut mettre trois cent livres et tandez quinze jours des nouvelles sitot Signé cretien Briche que nous avons paraphé ne varieture un couteau courbe dit de jardinier une roette au (?) taralauffa (?) un istrument de fer servant a peigner laine un vieux porte feuille et un boulet de fiselle

 

En consequence attendu que la cause de la mort est connu et que tout autres recherche a cet egard serait inutile nous avons declaré que rien ne s'oppose a ce que ledit cadavre fut inhumé suivant les formes ordinaires reconnaissance prealable faite dicelui sil se peut les effets trouvé sur ledit cadavre ont eté deposé au greffe de notre juridiction et remis a notre secretaire greffier qui s'en est chargé jusqua ce quil en soit autrement ordonné et a signé j Magnier

 

ainsi fait les jour mois et an que dessus Deschamps

 

en marge :

 

procès verbal de (?) du 28 frimaire 3è année

 

fait l'expedition et remis a la commune de St omer le 29 frimaire 3è année

N°2

 

 

Ce document est précieux et riche à plus d'un titre. Il nous renseigne sur le fonctionnement de la justice de paix, nous donne des précisions sur les lieux du drame, nous décrit les vêtements du noyé (sans faire son signalement malheureusement), nous détaille l'argent, les objets et outils qu'il portait sur lui. Les papiers retrouvés dans ses poches permettent d'avancer dans l'explication de sa présence à St-Omer. Concluant à l'absence de blessure du quidam, il rejette l'idée d'une mort violente. Enfin , bien que l'identification du corps se soit avérée impossible, nous acquérons la certitude absolue qu'il s'agit bien de notre ancêtre puisqu'au cours de la deuxième fouille, il est trouvé un « mémoire des journées » de travail à Blendecques et des « outils » de jardinier. Le lieu de décès est identique dans le procès-verbal du 28 et sur l'acte de décès du 29 frimaire. M. IUNG arrive à la même conclusion, ajoutant que le noyé a été « probablement reconnu par sa famille après la clôture du procès-verbal par le juge de paix, ses proches s'étonnant certainement de ne pas le voir reparaître après une course à St-Omer ». Sur ce dernier point, je ne suis pas d'accord. Essayons de reconstituer l'histoire de Charles:il s'est rendu seul à St-Omer, sinon l'identification n'aurait pas posé problème. Le voyage remonte à quelques jours ou quelques semaines plus tôt. Se faisant embaucher comme jardinier, il projetait quelque achat (de l'huile) avant de rentrer au pays. Et ce qui a vraisemblablement permis son identification, ce sont les indications contenues dans la lettre qu'il portait sur lui : la manufacture du citoyen Ridon à Blendecques où il travaillait, peut-être le nom de Chrétien Briche. Même si le juge ne le précise pas, il a pu envoyer une personne à la manufacture distante de deux kilomètres environ pour obtenir la certitude que le corps qu'il avait devant lui était bien celui de l'employé Dubuis. Ou bien, si le juge ne l'a pas fait, les collègues de Charles se sont peut-être inquiétés de son absence et, apprenant la nouvelle d'une noyade, ils se sont peut-être rendus eux-mêmes à St-Omer pour en avoir le coeur net. Quant à sa famille et à ses enfants, même prévenus le 28, ils n'auraient jamais pu parcourir la quarantaine de kilomètres séparant Blangy de St-Omer pour venir reconnaître le corps et assister à l'enterrement. De plus, la famille n'aurait pas déformé le patronyme comme cela a été fait sur l'acte de décès . Elle n'a d'ailleurs jamais su , comme je l'ai dit, la date, même approximative , de son décès.

 

Examinons maintenant plus en détails les enseignements contenus dans le texte du procès-verbal.

 

Commençons par la justice de paix. Les institutions judiciaires de l'Ancien Régime étaient particulièrement complexes et critiquées, pour le nombre excessif de leurs degrés de juridiction, la multiplicité extraordinaire des tribunaux, l'imprécision des limites de leurs attributions respectives, les complications de la procédure, la durée presque indéfinie des procès et les exactions des gens de justice, ainsi que le rappelle Marcel Marion dans son Dictionnaire des institutions de la France des XVIIè et XVIIIè siècles. C'est pourquoi , par la loi des 16 et 24 août 1790, l'Assemblée constituante réorganise l'appareil judiciaire. La justice de paix en devient le premier degré, chargé des affaires civiles. Il y a désormais un juge de paix par canton, ici Louis Joseph Auguste DESCHAMPS et deux prud'hommes, ses assesseurs, Jean BRISSEAU et Paul François MARTEL, des notables de St-Omer. Tous trois se rendent sur les lieux en compagnie du greffier Jacques MAGNIER et de l'officier de santé Jean Baptiste VANDAMME chargé d'examiner le corps. Un témoin, Pierre Joseph François DUPONT qui avait aidé à retirer le corps de l'eau, sera entendu sur place. Rapidement l'enquête conclut à l'absence d'homicide ,ni traces de coups, ni blessures n'ayant été relevées sur le corps. Mais comme le cadavre n'est pas identifié, le juge décide de l'exposer dans la cour de la maison commune où la petite troupe se rend aussitôt. Est-ce un élément nouveau, ou une discussion qui conduit le juge à ordonner une seconde « fouille » des poches du cadavre? Le corps sera exposé là plus de vingt-quatre heures, un temps suffisant qui permettra son identification. Le fait ne sera pas consigné en annexe sur le procès-verbal et l'enquête paraît définitivement close. Il n'est pas impossible , cependant , que dans la fameuse liasse non classée de laquelle M. IUNG a exhumé le procès-verbal, soit retrouvé le témoignage qui a permis l'identification.

 

M.IUNG ajoute que « les découvertes de cadavres de noyés dans les nombreux fossés de citadelles et de places fortes étaient fréquentes, les naturels du pays étant manifestement assez mauvais nageurs, parce que les officiers de santé certifient souvent la mort naturelle, c'est-à-dire non criminelle ».

 

Passons maintenant aux lieux. Les indications concernant les lieux où s'est noué le drame sont les mêmes que celles portées sur l'acte de décès, à ceci près que la porte du Brulle se nommait « ci-devant St-Michel ». Cela a son importance car c'est la référence à la porte St-Michel qu'il faudra trouver sur le plan-relief qui date d'avant la période révolutionnaire. Quand le juge et ses assesseurs se déplacent, le cadavre, retiré de l'eau par des passants, a été déposé sur le bord du fossé, au-dessus de la première barrière: là encore, une reproduction sur papier du plan-relief permettra sans doute de mieux comprendre les lieux. En attendant d'y avoir accès, une recherche entreprise sur les fortifications ou citadelles bâties ou remaniées par Vauban me fait avancer dans ce domaine: ainsi, sur un schéma des fortifications classiques (éditions Larousse), voit-on les demi-lunes entourées de fossés et au sud le chemin qui conduit hors de la ville ; il traverse la première enceinte, passe sous la demi-lune puis emprunte le pont-levis et débouche sur l'enceinte extérieure de la cité.

 

La reproduction de la Porte Dauphine à Blaye, en Gironde, est, jusqu'à présent,le document le plus précis dont je dispose (la photographie provient du livre de Nicolas Faucherre, Places fortes, bastion du pouvoir, Edition Rempart, 1989). On y découvre nettement l'enceinte fortifiée avec sa porte , ainsi que le chemin qui enjambe le fossé pour conduire à la demi-lune et enfin le pont. A noter également le corps de garde d'avancée, placé en avant-poste sur la demi-lune. Ce bâtiment abritait les troupes de gardes.

 

Troisième document, le plan ancien de St-Omer qui n'est pas d'un grand secours (Musée de l'hôtel Sandelin, sans date). Si l'on y repère les fortifications et les demi-lunes, à l'ouest et au sud, on n'y voit pas les chemins qui permettent de sortir de la ville.

 

Pour imaginer le parcours de Charles, il faut partir de la « chambre » qu'il avait sans doute louée à l'intérieur des remparts de St-Omer. Prenant de bon matin le chemin qui menait hors de la ville, Charles n'alla pas jusqu'à la porte du Brulle où il se serait dirigé, au-delà, vers ce qu'on appelait à l'époque « la chaussée ferrée » qui l'aurait conduit à Blendecques et qui était encore l'hiver 1790 « d'un difficile accès ». Sur la carte de Cassini, datée des années 1770, la chaussée est parfaitement visible au sud de St-Omer.

 

On vient d'imaginer Charles sur la route de Blendecques, on peut aussi s'efforcer de le voir dans ses habits décrits sans luxe de détails mais de façon suggestive par le juge de paix. Au passage, on pourra regretter qu'il n'ait pas pris le soin de donner le signalement de l'homme étendu devant lui: dans le procès-verbal, rien sur la taille, la corpulence, la forme du visage. Dommage! Tout au plus apprend-on que Charles fait plus que son âge: 55 ans , âge approximatif comme souvent au XVIIIè siècle, alors qu'il n'en a que 48 et demi.

 

S'il n'est pas décrit physiquement, les vêtements le sont avec une précision toute relative.

 

Commençons par le chapeau qui flottait à côté du corps (ce qui a son importance, et j'y reviendrai). Il est dit retroussé. C'est le bord du chapeau qui l'est. Cette forme particulière s'appelle le retroussis. Aucune notation sur la couleur, rien n'empêche de l'imaginer noir ou marron. Rien non plus sur la matière.

 

Il est utile pour comprendre les vêtements qu'il porte de reprendre une histoire du costume, celle de François Boucher (Flammarion, 1965) par exemple. Au XVIIIè siècle, l'habit masculin comporte trois pièces. Le vêtement de dessus s'appelle le justaucorps; celui de dessous, la veste et la culotte couvre les pudenda et les jambes jusqu'aux genoux. Peu à peu, l'habitude est prise de nommer habit le seul justaucorps dont le nom s'efface vers 1770. Charles portait donc selon l'usage un habit dont la couleur du drap nous étonne. Couleur voyante, le jaune était obtenu par décoction du curcuma, ou par la gaude pour le jaune vif ou par le crocus sativa pour le jaune foncé. Peut-être son habit , comme le dit Littré, était -il ouvert par devant et à basques plus ou moins larges. On ne sait. Quant à la veste bleue doublée de même, d'après le texte, elle semble bien portée sous l'habit. Créée vers 1670, la veste, d'abord masculine, dépassait de peu la taille à la fin du règne de Louis XV en 1774, et elle était dépourvue de manches à cause du rétrécissement de celles de l'habit. C'est alors qu'elle prend le nom de gilet (qui entre au Dictionnaire de l'Académie en 1762). Charles, ne portant pas de gilet, n'est donc pas « à la mode ». Littré précise que la veste était à quatre pans, les deux de devant ayant des poches.

 

Le pantalon, lui, est usé. Non l'habit, ni la veste. Il est fait de siamoise. Mise à l'honneur sous Louis XIV par des ambassadeurs du Roi de Siam débarquant à Marseille en 1684, l'étoffe de leurs habits rayés, appelée bientôt la siamoise, à l'origine de soie et de coton , fit fureur en Provence avant que la mode gagnât Paris. Rouen et le Pays de Caux se mirent à fabriquer des siamoises de coton bon marché et « ces rouenneries font partie du costume paysan de la France entière jusqu'au XIXè siècle »(Michel Bichau in En jupon piqué et robe d'indienne, Jeanne Laffitte, 1987, cité dans Histoire technique et morale du vêtement de Maguelonne Toussaint- Samat, Bordas, 1990). Relevons encore que le pantalon est assorti à la veste puisqu'il est rayé de bleu, sans que la seconde couleur, probablement écrue, soit mentionnée.

 

Passons maintenant à la jarretière, accessoire aussi bien féminin que masculin. Il s'agit d'un ruban ou d'un lien pour faire tenir ses bas au-dessus ou au-dessous du genou. Les boucles dont il est question servaient à fixer et à orner la jarretière. Si elles sont dites de composition, cela veut dire qu'elles ont été fabriquées par l'intéressé et non achetées. Charles, au moment de sa mort, les avait dans une poche. Le seul fait qu'il en disposait signifie que le pantalon s'arrêtait au genou et qu'il portait des bas.

 

Terminons par les souliers de lisière. Au cours de mes recherches, je n'ai pas trouvé l'expression telle quelle. Comme on le sait, la lisière désigne le bord d'une étoffe, mais aussi une étoffe rude au toucher et de très faible largeur, en forme de tresse. On fabriquait ainsi des chaussons de lisière, tressés sur l'empeigne. Littré précise aussi qu'il existait « le soulier en chausson », un soulier avec une simple semelle. Résumons-nous sur ce point: il semble que l'expression soulier de lisière soit créée à partir des deux expressions attestées, soulier en chausson et chausson de lisière. Charles possède des chaussures simples, tressées, peu adéquates en cette fin d'automne sur des chemins détrempés ou bien verglacés.

 

Une information supplémentaire m'arrive du Musée international de la chaussure ouvert à Romans sur Isère. Dans la Grande Encyclopédie, dirigée par Marcelin Berthelot, Paris, H. Lamirault et Cie, 1885-1892, à l'article « chausson », j'extrais ce qui suit: « On fabrique également des chaussons qui sont plutôt des pantoufles, au moyen de petites lanières, ou de lacets de fil ou de coton, que l'on entrelace de manière à en faire un véritable tissu, sur une forme de cordonnier qui sert de moule au chausson, auquel on adapte ensemble une semelle en cuir de buffle, et que l'on double souvent en laine. » Et l'auteur de l'article d'ajouter que le chausson peut servir de pantoufles, ou se porter dans des sabots. Faut-il penser que Charles allait en sabots sur les chemins de l'Artois? Il est possible que les dits sabots soient restés au fond du fossé, mais pourquoi dire alors qu'il porte des souliers et non des chaussons? Le problème reste entier...

 

Ainsi vêtu, Charles porte , pour ses déplacements comme pour le travail, un costume voyant , jaune et bleu, à rayures, assez éloigné de celui des fédérés marseillais à carmagnole (ou veste courte) , pantalon rayé bleu et rouge et bonnet phrygien.

 

Abordons les effets découverts dans les poches au cours des deux fouilles. Objets usuels et même outils. Détaillons. Tout d'abord, un étui de pipe. La pipe elle-même n'a bien sûr pas été retrouvée. Était-elle du modèle que celles que l'on fabriquait à St-Omer, à la manufacture Fiolet, si renommée qu'elle concurrençait les exportations allemandes, hollandaises et anglaises? Le musée de l'hôtel Sandelin abrite une belle collection de pipes de cette manufacture qui employait quelque 500 ouvriers en 1789. Avec l'étui de pipe, sont mentionnés un couteau pliant à manche de corne et un second, dit de jardinier. Pour sa nouvelle profession, Charles a l'usage de la roette ou rouette. C'est une branche menue et flexible dont on fait un lien pour serrer les fagots. Quant au nom de taralauffa, son sens , probablement local, m'échappe. Le boulet de ficelle ou pelote renvoie aussi mais pas uniquement au métier de jardinier. Il est ici utile de préciser que jusqu'en 1939, à St-Omer, le nom de jardinier désigne un maraîcher qui travaille dans les hortillonnages. Et l'instrument de fer servant à peigner la laine est tout simplement un peigne. Il atteste que Charles n'exerçait pas seulement à St-Omer la profession de jardinier, ce que l'on savait déjà par son acte de décès. Il reste le vieux « porte feuille », pourtant propre à serrer des papiers, qui semble n'en comporter aucun.

 

Charles détenait encore sur lui, enveloppés dans du papier, des assignats de différentes valeurs, pour un total de 18 livres. Créé en 1789 par la mise à disposition de la nation des biens du clergé, l'assignat a cours de monnaie l'année suivante, et connaît une dépréciation rapide et dramatique, dont sont victimes les classes populaires, pour reprendre les termes d'Albert Soboul dans La Révolution française (Arthaud, 1982). Les ouvriers payés en papier-monnaie voient leur pouvoir d'achat baisser. En janvier 1793, l'assignat tombe à 50% de sa valeur nominale. Le peuple bouge, se révolte. En juin 1793, à Paris, la livre de veau a augmenté de 90% et celle de boeuf de 136%. Face à une situation qui se dégrade, le pouvoir prend le décret du maximum des grains et des farines, puis des denrées de première nécessité et des salaires . On adopte les prix moyens de 1790 augmentés d'un tiers ou d'un demi, mais les difficultés d'application sont immenses. Les grèves sont réprimées, la banqueroute n'est pas loin. La chute de Robespierre et de ses partisans en thermidor an II (juillet 1794) voit le retour à la liberté économique qui renchérit le coût de la vie: la crise est alors effroyable. Soboul parle de « la misère indicible des masses populaires ». La vie de Charles s'achève dans un contexte de chaos économique où l'assignat ne vaut plus en décembre 1794 que 20% de sa valeur initiale . L'idéal de Jean-Jacques Rousseau , dans le Contrat social, de l'homme vivant de son travail, sans rien devoir à personne, s'est bien éloigné...

 

C'est dans cette conjoncture que notre Charles a quitté son village natal où la condition de ménager-peigneur de laine est sans doute devenue très difficile pour nourrir une femme et trois enfants âgés de 21, 13 et 10 ans. Tenter sa chance à la ville a dû paraître à ses yeux mieux qu'un pis-aller. Dans la manufacture Ridon, il continuerait à pratiquer son métier de peigneur de laine et deviendrait aussi jardinier, une seconde activité qu'en tant que ménager, il ne devait pas manquer d'exercer à Blangy. Que pouvait-il bien gagner à la journée? Pour la fin de l'année 1794, période qui nous intéresse, le journalier du Nord de la France touche trois livres par journée de travail, quatre fois plus qu'en 1790, alors que le prix du quintal de blé passe de 12 à 73 livres dans le même temps, soit six fois plus, signe d'une inflation monstrueuse.

 

Il est bon de revenir au texte du procès-verbal. Je le cite à nouveau:

«les assignats enveloppés dans un morceau de papier... sur lequel était écrit des notes concus en ce terme memoire des journees concernant la manufacture du citoyen ridon et citoyen si vous voulez avoir de lhuile a Blendecque il faut mettre trois cent livres et tandez quinze jours. »

 

Examinons les questions que pose cet extrait:

 

1- Il n'y a malheureusement aucune précision sur les journées travaillées par Charles à la manufacture Ridon. On aurait pu connaître le nombre d'heures, de jours, le salaire etc... Regrets.

 

2- Charles travaille dans cette entreprise mais je n'ai pas réussi jusqu'à présent à savoir ce qu'elle produisait.

 

3- Pourquoi trouve-t-on sur le même papier et à la suite le mémoire et un billet commençant par: « citoyen si vous voulez de l'huile »? Un lien est à établir entre les deux: est-ce que Charles pour son travail chez Ridon est payé en nature (de l'huile en l'occurrence)? C'est une pratique courante entre 1793 et 1796 de payer les ouvriers en nature (blé, savon, huile, vin par exemple) dans le cadre d'une économie de troc qui s'est généralisée, instituant un véritable marché parallèle. Mais le fait de devoir « mettre «  trois cents livres écarte cette hypothèse du troc. Dès lors, nous pouvons nous demander s'il y a un rapport entre Chrétien BRICHE et la manufacture RIDON d'une part, entre l'huile et la manufacture d'autre part .

 

4- Et de quelle huile parle BRICHE? Olive, noix, lin, colza? Écartons tout de suite l'olive méditerranéenne, l'huile de noix est peu vraisemblable, le Nord n'étant pas propice au noyer. Écartons aussi le lin dont l'huile est utilisée en peinture, la graine comme la farine le sont en pharmacie. Il reste le colza, appelé aussi chou-colza comme le dit son étymologie hollandaise, qui sert exclusivement à l'éclairage domestique.

 

5- Autre difficulté: il est impossible de trouver le prix d'un litre d'huile en décembre 1794, et bien sûr de savoir combien Charles aurait obtenu de litres pour 300 livres. Rappelons qu'un journalier moyen mettrait cent jours pour gagner une telle somme. Charles, ayant deux activités, aurait peut-être mis soixante-quinze jours. Quoi qu'il en soit, on imagine que cela représente un nombre de litres important, supérieur à la consommation familiale.

 

6- Charles serait-il aussi, comme on le disait à l'époque un « marchand -trafiquant » d'un marché parallèle? Cela peut paraître une conclusion audacieuse mais n'oublions pas le contexte économique et social de son déplacement à Saint-Omer.

 

7- Émettons une dernière hypothèse, un peu farfelue, à vrai dire. Comme le mémoire et le billet ne sont pas datés, rien n'interdit de penser que Charles avait déjà fait affaire et qu'il était sur le point de regagner ses pénates... avec les fameux litres d'huile. Un vieux bonhomme, seul sur le chemin, quelle aubaine pour un voyou qui le pousse à l'eau et s'empare de son huile!

 

Il reste à examiner le travail du citoyen Vandamme, l'officier de santé. L'examen qu'il opère sur le corps intervient après la première fouille des poches. Son but est d'obtenir « une reconnaissance de l'indentité de la personne morte ». La procédure que suit l'officier n'est pas décrite et nous n'aurons droit qu'à sa conclusion: l'homme est « mort noyé sans lui avoir trouvé aucune blessure qui puisse indiquer que le quidam soit mort de maladie ou de tout autre mort violente ». Et le juge entérinera cette conclusion à la fin du procès-verbal: « la cause de la mort est connue, tout autre recherche à cet égard serait inutile ». Si le juge est dans le domaine de la certitude, nous sommes, nous qui lisons son acte, dans celui de l'incertitude. A quel examen l'officier de santé a-t-il procédé? A un examen sommaire, semble-t-il. A-t-il dénudé le cadavre pour constater d'éventuelles blessures sur le thorax, par exemple, occasionnées par une chute ou des coups reçus? Rien n'est dit là-dessus et le travail de Vandamme paraît très succinct. Nous ne saurons pas si le visage a les traits boursouflés d'un noyé. Quant au corps, est-il gonflé d'eau? On peut penser que, si cela avait été le cas, le fait aurait été consigné, tant il aurait été patent. Un point sur lequel Vandamme se trompe lourdement, c'est quand il soutient que le quidam n'est pas mort de maladie. Or, un infarctus massif ou une rupture d'anévrisme entraînent une mort subite sans signes cliniques nettement visibles. Si la défaillance éventuelle de Charles le surprend au bord du fossé, le corps, à l'instant même, a peut-être basculé dans l'eau. Un accident de santé brutal et définitif est possible. Par ailleurs, la chute accidentelle dans l'eau glacée de ce petit matin obscur de décembre (les hivers sont très froids dans la seconde moitié du XVIIIè siècle, rappelle E. Le Roy Ladurie dans son Histoire du climat depuis l'an mil, Champs Flammarion, 2001), cette chute a pu provoquer une mort par hypothermie. Dans les deux cas que je viens d'évoquer, le corps tombé mort dans l'eau et le corps saisi mortellement par l'eau glacée, le cadavre reste en surface parce que les poumons n'ont pas inhalé d'eau. Or, rappelons-nous, le cordonnier a bien signalé avoir vu une tête émergée du fossé , le chapeau flottant à son côté. Un chapeau, d'ailleurs, que l'on imagine mal flotter depuis des jours sans que personne n'ait eu l'idée de le récupérer avec une gaffe.

 

Résumons-nous: ni meurtre ni assassinat ne peuvent être retenus: pas de blessures visibles, pas de traces de sang. Faisons confiance à Vandamme là-dessus. Pas de scène de crime, ni de motif crapuleux puisque une petite somme d'argent est sortie des poches du cadavre. L'hypothèse du suicide, évoquée plus haut, apparaît comme improbable: malgré les vicissitudes du moment, Charles a des projets, un but en venant à la ville. On ne voit pas pourquoi il renoncerait à la vie. La chute accidentelle, suivie d'une mort par hypothermie est possible, d'autant que Charles connaissait mal le secteur peu ou pas éclairé et peut-être rendu glissant par le mauvais temps. Un malaise cardiaque précédant la chute dans le fossé est possible aussi: ce serait alors une conjonction de faits particulièrement malencontreuse. Corps tombé à l'eau suite à une glissade ou un déséquilibre, ou bien à un accident de santé fatal, quoi qu'il en soit, le corps a séjourné peu de temps dans l'eau du fossé. En témoignent le mémoire et le billet de Briche dont les textes parfaitement lisibles n'ont pas été délavés par une imbibition prolongée.

 

En conclusion , Charles DEBUICHE est décédé de mort subite, selon toute vraisemblance, au petit matin du 28 frimaire an III, alors qu'il se rendait sur son lieu de travail.

 

 

Janvier 2005. J'arrive enfin à mettre la main sur une histoire de St Omer, celle qui a été publiée sous la direction d'Alain Derville en 1985 aux Presses Universitaires de Lille. Parmi les historiens , je retrouve le nom de Martine Le Maner, la conservatrice déjà citée... Cet ouvrage, qui n'est pas très riche sur le plan iconographique pour ce qui nous concerne, apporte cependant quelques précisions sur les problèmes soulevés. D'abord sur l'origine du nom Brulle. Ce nom, provenant du latin broilium, désignait une pâture enclose. La porte du Brulle était au Moyen Age l'une des quatre grandes portes de la ville avec celles du Haut-Pont, de la Boulnizienne et de Ste -Croix. La paroisse qui la jouxtait était celle de St-Michel (d'où la référence à la porte « ci-devant St-Michel » dans le procès-verbal). Avec la barbacane du Colhof, la paroisse St-Michel disparaît en 1565, rasée dans le but d'élargir les fossés . Les historiens expliquent que pour contrer la puissance de l'artillerie on construit, à partir du XVIè siècle des ouvrages extérieurs et des demi-lunes, passant ainsi d'un système de défense vertical à un système de défense horizontal. Ces remparts qui enserrent St-Omer dans « un corset de pierres et de briques » seront démantelés entre 1892 et 1895, une seule section sera sauvegardée, qui correspond à l'actuel jardin public.

 

Sur l'année 1794 à St-Omer, le livre cité confirme ce que j'ai dit : flambée des prix à cause de la suppression du Maximum, délation, peur, hiver rigoureux, difficultés frumentaires: tout concourt à faire de cette année une annus horribilis avec ses 2100 morts, trois fois plus que la moyenne des années précédentes.

 

Juillet 2005. Le travail de recherche n'est pas tout à fait terminé. Dressons la liste de ce qu'il faut encore chercher ou approfondir:

 

1- lire l'acte de décès de Charles aux Archives départementales.

 

2- chercher dans la fameuse liasse non classée des Archives de la Justice de paix de St-Omer s'il existe un acte de reconnaissance de « l'indentité » de Charles.

 

3- identifier l'activité de la manufacture Ridon où travaillait Charles.

 

4- obtenir une reproduction du plan-relief de St-Omer pour localiser exactement la porte du Brulle et la première barrière, théâtre de l'accident mortel.

 

 

 

 

 

26 juillet 2010

Les DEBUICHE de Blangy d'après les recensements de population (1820-1896)

 

Les DEBUICHE de Blangy d'après les recensements de population (1820-1896)

 

 

De tout temps, dans l'Antiquité , à Rome aussi bien qu'en Chine, les gouvernements ont eu la volonté et ont compris l'intérêt militaire et fiscal, de dénombrer les populations. Louis XIV, par son ordonnance de St Germain en Laye, prise en 1667, recommande d'établir un double du registre paroissial à des fins de dénombrement de la population. Sous l'Ancien régime, les listes sont exprimées en feux, c'est-à-dire en foyers, notion qui disparaît en 1790. Mais il existe peu de recensements sur l'ensemble du territoire à cette époque. Il faut attendre le début du XIXè siècle pour qu'il soit décidé d'en pratiquer tous les cinq ans. Ce sera le cas jusqu'en 1946, sauf pour quelques années retardées ou supprimées du fait des guerres.

 

 

La mise en ligne des recensements de population, au début de cette année 2010, par les Archives du Pas-de-Calais m'a donné l'idée du travail que nous vous présentons aujourd'hui sur l'implantation de notre famille dans Blangy. Ces recensements constituent une série complète, sauvegardée et commençant en 1820. Rien ensuite jusqu'en 1831, date à partir de laquelle ils deviennent quinquennaux, à l'exception de l'année 1872 où nous enregistrons un retard d'une année dû sans doute à la guerre de 1870 et aux événements révolutionnaires de 1871. Il faut attendre 1841 pour trouver à Blangy les indications de rue dont les noms vont se modifier quelque peu au cours des temps (présenter le plan de Blangy-sur-Ternoise avec les indications de rues données par le plan cadastral de 1825) . En 1851, la religion et les maladies sont indiquées. On devine l'intérêt d'un tel document pour qui fait de la généalogie: repérer ses ancêtres dans une commune à une date donnée avec la famille qu'ils ont pu fonder, leur profession, leur parenté etc. A noter également que les recensements de 1861 et 1866 sont intéressants pour l'histoire du village lui-même. En 1861, sur les 198 maisons, 154, soit les 3/4, sont couvertes de chaume, et 44 de tuiles ou d'ardoises; 190, presque la totalité, n'ont qu'un rez-de-chaussée; 8 un rez-de-chaussée et un étage. On rencontre encore aujourd'hui dans le village, ce type de maison, blanchie à la chaux, comme celle des arrière-grands-parents sur la route d'Erin que nous avions repérée en 2003. En 1866, le nombre de maisons a crû de 9 pour 16 habitants de plus: 151 en chaume, et 56 en tuiles et ardoises; c'est une donnée enregistrant un début d'évolution vers une couverture de maisons "en dur". Dans ces deux mêmes recensements, il est dressé un tableau des professions. Leur répartition ne change guère de 1861 à 1866. Prenons comme référence le tableau de 1861: il n'y a que 3 propriétaires, vivant "sur leurs terres qu'ils ont affermées". A quoi s'ajoutent, en 1866, 4 propriétaires "faisant valoir". 77 fermiers cultivent la terre d'autrui moyennant une redevance, aidés de 26 domestiques et de 8 ouvriers agricoles à l'année. Le gros des actifs blangiaquois est formé de 186 journaliers. Parmi ceux-ci, se trouvent sans doute les ménagers, qui, bien qu'ils soient propriétaires de quelques lopins de terre, n'ont pas assez de revenus pour en vivre et se louent à la journée. 7 travaillent le bois (scieurs, tourneur, bûcherons, puis en 1866, 5 menuisiers-charpentiers). 15 cabaretiers, 4 épiciers, 1 médecin, 1 instituteur, 1 garde-champêtre, 1 curé, 10 rentiers et quelques autres...Notons que les agriculteurs au sens large représentent les 3/4 des actifs.

 

Mais revenons au premier recensement, celui de 1820. Le préfet du Pas-de-Calais SIMEON en est la cheville ouvrière . Précédemment, en 1815, une tentative de recensement eut lieu dans le Pas-de-Calais mais elle avorta, si bien que c'est "le tableau de la population des communes du royaume, approuvé en 1806" qui fait toujours foi, mais comme le dit le préfet, il fait date et il est devenu nécessaire de "procéder au dénombrement exact de la population".Les maires auront à disposition un modèle qu'il leur joint; "Vous aurez soin, leur dit-il, d'y comprendre tous les individus de tout âge et de tout sexe, habitans ou domiciliés dans la commune, même ceux qui en sont absens pour raison de service militaire ou tous autres motifs; d'établir votre état nominatif par ménage, en portant, en tête de chaque ménage, le chef de famille, puis sa femme, ensuite ses enfans, puis les aïeux ou autres parents faisant partie du même ménage, puis enfin (sic) les domestiques". Le travail étant ainsi cadré pour 1820, Albert BOUTIN , maire et fermier, commence par lui-même, prenant soin de noter la date de naissance des Blangiaquois, ce qui ne se fera plus, ses successeurs se contentant d'indiquer leur âge.

 

En 1841, les ménages sont classés d'après la rue qu'ils habitent, ce qui donne une cohérence aux relevés et peut-être évite les oublis. Seul changera par la suite avec le nom des rues l'ordre de "passage" des rues. J'ai donc pu travailler sur les 15 recensements qui s'échelonnent de 1820 à 1896 sur plus de 400 pages.

 

La population du village oscille entre 920 habitants en 1846 et 757 en 1896 si on ne prend pas en compte le pensionnat de Blangy dont les effectifs varient de 40 à 91 personnes. La hausse est constante entre 1820 et 1846 et malgré deux reprises, la baisse l'est aussi jusqu'en 1896. Les DEBUICHE représentent de 40 personnes en 1841 et 1851 à 27 en 1886, soit de 4,43 % à 3,15 %. Quant au nombre de foyers DEBUICHE , ils passent de 15 en 1831, 1841 et 1866 à 8 en 1820 et 1891. Rappelons-nous pour comprendre ces chiffres que c'est au XIXè siècle que "l'émigration" commence pour les différentes branches que nous représentons. On peut distinguer trois vagues ou vaguelettes dans ces départs de Blangy:

- La première, même si elle dépasse le cadre de cette étude, est portée par Charles Joseph Toussaint qui fonde une famille au Parcq à la fin du XVIIIè siècle. La branche s'éteindra au XIXè, au moins en ligne directe.

- La deuxième concerne le milieu du XIXè. Nous prendrons trois exemples pour l'illustrer.

1 Martial Joseph, né en 1837, domestique à Amiens, épouse une fille de Maisnil . Il décède à Aubigny-en-Artois dont la postérité est ici présente.

2 Hector, né en 1840, épouse une fille de Blangy et décède à Eclimeux en 1912. Son fils Emile, né à Blangy en 1869 aura une fille Marthe, née à Calais en 1895, dont on connaît la postérité ici présente. Son dernier fils Marcel, né à Brimeux, est l'auteur des DEBUICHE charcutiers de Boulogne-sur-Mer.

3 Edouard Jean Baptiste, né en 1844, employé aux Contributions indirectes, décède à Hézecques dont on connaît la postérité dans le Nord. C'est un fils aîné qui a bénéficié, par l'accès à des études, d'une promotion professionnelle, alors que son cadet -nous y reviendrons- reste au village.

- La troisième vague, de loin la plus grosse, concerne les enfants nés dans la deuxième partie du XIXè et plus précisément dans le dernier quart du siècle. Nous donnerons cinq exemples:

1 Charlemagne, né en 1862 , brasseur, décède à Auchel en 1891. C'est l'auteur de la branche de Guarbecque, très féconde.

2 Pierre Charles, né en 1871, épouse à Calais Marie Louise CATTOEN . La postérité est inconnue.

3 Alfred, né en 1874, s'établit boulanger à Auxi-le-Château où il décède en 1954 . La branche n'est pas éteinte.

4 Christine, née en 1878, se marie à Boulogne-sur-Mer en 1899 avec Victor CREPIN dont la postérité est bien connue.

5 Quant aux descendants de Charles et Zélie LHOMME, sur leurs 14 enfants, il n'y aura à Blangy que trois mariages et un seul décès (en dehors des enfants décédés en bas âge), celui de Paul en 1915. Calais, Boulogne, Le Havre, Rouen, la Somme, l'Aisne, la Rochelle, Tremblay les verront vivre et se mutiplier.

 

Nous passons sur les cas de Magloire et Louis, deux frères, quittant Blangy, le premier pour s'installer à La Madelaine et le second à Fresnoy (postérité). Ou encore Ange Philémon travaillant à Paris en 1848 et dont nous perdons la trace. Au XXè siècle, la déperdition sera encore plus grande et jusqu'à ce mois de juin 2010, il n'y avait que Jacques pour réprésenter tous ces couples qui ont vécu ici, modestement pour la plupart.

 

Mais venons-en à ceux qui ont affronté l'adversité dans le village de leurs ancêtres et dont nous suivons le parcours dans les recensements. Comme nous l'avons dit, les rues qu'ils ont habitées sont indiquées dans les documents de travail à partir de 1841 . Nous allons suivre plusieurs couples pour étudier leur évolution.

 

Tout d'abord, intéressons-nous à Pierre Joseph (1) marié à Emélie LHUITTRE, un couple observable de 1841 à 1896. Mariés en 1837, ils habitent rue de Tilly en 1841 avec leurs trois enfants. Pendant 25 ans, ils y demeurent et au décès de son épouse, Pierre Joseph est recensé rue de Grand Marais, chef de famille de cinq enfants. En 1871, il est rue de Courcelles à Tilly et il héberge sa grand-tante de 93 ans, Marie Anne (2). De 1876 à 1896, il est toujours rue de Tilly, mais ses conditions de vie changent à chaque recensement. En 1876, trois enfants forment avec lui le ménage; en 1881, il vit avec sa fille aînée Charlotte, âgée de 43 ans et un domestique. En 1886, âgé de 70 ans, c'est Julia (29 ans) qui vit avec lui. Au recensement suivant, grand changement, il a abandonné à son fils Jules la qualité de chef de famille. La situation ne variera pas jusqu'à son décès en 1898, à l'âge de 82 ans.

 

De Pierre Joseph, nous passerons à l'examen de ses propres parents. Pierre Joseph Bernard (3) décède en 1853 et son épouse Marie Françoise LHOMME quatre ans plus tard. Nous les trouvons en 1841 rue de Fruges avec leur fille Elisabeth. En 1846, ils sont toujours route de Fruges avec leur petite fille Elise CRETEL. En 1851, ils ont déménagé et vivent seuls Grand'rue au n° 13, mais au 14 leur fille Elisabeth (4) vit avec son mari Charles HAINAUT et au 15 c'est leur fils Jean Baptiste (5), sa femme Julie DELEPINE et leurs cinq enfants que nous trouvons. Le couple âgé qui ne vit pas dans la toute proximité de leur fils cadet Pierre Joseph (le premier examiné) est en fait très entouré de deux enfants mariés avec leur propre descendance. Mieux encore, leur fille Marie Anne (6), mariée à Albert BRANLY, habite la même Grand'rue au n°11. Les solidarités familiales peuvent s'exercer facilement dans un petit périmètre, tout en préservant l'indépendance, l'autonomie et l'intimité de chacun.

 

Suivons maintenant le couple Jean Baptiste et Julie DELEPINE (5), nos trisaïeuls. Nous venons de les rencontrer en 1851 Grand'rue. Ils se sont mariés en 1833, ont deux enfants et vivent avec les beaux-parents de Jean Baptiste et un beau-frère, maçon. Au recensement suivant, Jean Baptiste est marchand épicier, rue de Maisoncelle et la famille compte toujours deux enfants et Joseph DELEPINE, son beau-père, veuf, vit sous le même toit. En 1846, la situation a changé: il est devenu journalier et a déménagé à côté de ses parents route de Fruges. Nous comptons deux enfants de plus et le beau-père est décédé. Cinq ans après, il renoue avec les affaires puisqu'il est cabaretier Grand'rue n°15 et ses parents l'y ont suivi au n°13. Nouveau changement en 1856, où nous le trouvons ménager rue de Tilly à Courcelles. Il y restera jusqu'à son décès en 1880. Nous observons que les changements d'activité de Jean Baptiste entraînent des changements de résidence et curieusement, sans que nous en ayons une explication nette, le couple Charles HAINAUT-Elisabeth, et avec eux Marie Françoise LHOMME , veuve de Pierre Joseph Bernard (3), ont quitté aussi la Grand'rue et vivent non loin de là, dans la même rue de Tilly à Courcelles dès 1856. En 1881, la veuve de Jean Baptiste, Julie DELEPINE, est recensée rue d'Hesdin dans la maison de son fils Charles époux de Zélie LHOMME (7). Il semble bien qu'une mère veuve et âgée ne puisse rester seule et que là encore nous voyons à l'oeuvre les solidarités familiales.

 

Mêmes solidarités dans le couple DEBUICHE-LHOMME (7) que nous venons de rencontrer: mariés en 1874, Charles est couvreur de paille et Zélie modiste; ils sont rue d'Hesdin n°70. Les parents de Zélie, Charlemagne LHOMME et Amélie LANVIN (8) sont cabaretier et boulangère rue d'Erin avec quatre de leurs 14 enfants en 1872. En 1876, ils sont route d'Hesdin au n°67 où Charlemagne est boulanger. Restent avec eux deux filles qui ne se marieront pas, Joséphine et Aglaé, et une petite-fille. En 1881, tout ce monde est réuni aux 80 et 81 rue d'Hesdin, Charlemagne, débitant, vit avec sa femme, ses deux filles et deux neveux; Charles, désormais cantonnier, et Zélie sont à la tête d'une troupe de cinq enfants. En 1886, au même lieu, Charlemagne LHOMME est désormais veuf, âgé de 82 ans. Il est déclaré cultivateur, ce qui laisse rêveur. Il est toujours entouré de ses deux filles, mais aussi d'Angèle LEFEBVRE, nièce de Zélie, âgée de 15 ans, dont la mère Angéline est décédée à la naissance de l'enfant. Tout à côté, sont recensés Charles et Zélie LHOMME, leurs huit enfants et -nous l'avons dit- Julie DELEPINE, mère de Charles. Cinq ans plus tard, en 1891, après le décès du père de Zélie et de la mère de Charles, le couple a déménagé rue d'Erin et n'a pas chômé puisque c'est douze enfants qui les égaient. Elisée, l'aîné, 16 ans, est déjà clerc de notaire. Charles et Zélie élèvent aussi un enfant de l'hospice âgé de trois ans. Joséphine et Aglaé LHOMME, les soeurs de Zélie, les ont suivis rue d'Erin et sont leurs voisines les plus directes; Angèle LEFEBVRE, la nièce, les accompagne. Le décès de Charles DEBUICHE en 1893 bouleverse cette donne: en 1896, Zélie, veuve à 37 ans, avec 13 enfants, ne peut compter que sur les deux aînés qui travaillent, Elisée ouvrier et Paul cantonnier. Mais à côté, il y a toujours ses deux soeurs et sa nièce auxquelles s'est joint un Henri LEBRUN, 28 ans, facteur rural, qualifié de neveu, qui a épousé Angèle LEFEBVRE en 1891. Il y a deux ans, nous avons évoqué la situation de Zélie LHOMME et nous n'y reviendrons pas. Précisons que pour élever ses enfants, elle peut s'appuyer sur l'aide de ses soeurs; de sa nièce et quand il était temps, elle pouvait elle-même apporter son aide à son père, et à sa belle-mère. A chaque étape du parcours, nous avons constaté la vivacité des liens qui unit les générations. N'imaginons pas cependant une vie idyllique car les revenus sont très modestes et la mort soudaine de Charles a dû être cruelle pour sa famille.

 

Autre cas, celui de Charles, couvreur de paille, marié en 1830 à Marie Berthe LHOMME (9), une soeur de Charlemagne (restons en famille). Le père de Charles, Alexis (10), garde-bois, est décédé en 1830 et sa veuve, Rosalie GAULIN, réside en 1831, probablement rue de Maisoncelle avec sept enfants. C'est là que nous la trouvons avec trois enfants en 1841, dernier dénombrement où nous avons sa trace. Charles (9), le seul fils qui reste à Blangy, est installé non loin de là, rue de Marais avec sa femme et leurs trois enfants. Ils sont absents du recensement de 1846, et en 1851, ils sont rue de Courcelles avec les mêmes trois enfants. En 1856, ils sont recensés rue de Tilly à Courcelles avec deux enfants et un petit-fils adultérin, né l'année précédente. De 1861 à 1872, les enfants sont mariés, et le couple héberge un beau-frère de 60 ans, Jean-Baptiste LHOMME. Charles décède en 1876 et n'est pas mentionné la même année dans le document nominatif . En 1876, Marie Berthe LHOMME, chef de ménage et veuve, vit avec son frère Jean-Baptiste, qualifié de mendiant, âgé de 80 ans. (La qualification de mendiant s'explique par l'absence de ressources propres de l'individu à une époque où la retraite n'existe pas, ne l'imaginons pas traînant dans les rues en quête de nourriture). A partir de 1881, elle vit seule au même endroit jusqu'à son décès en 1893, à l'âge de 85 ans. Pourtant elle ne figure pas dans la liste nominative de 1891, ce qui fait penser qu'elle est depuis quelque temps à l'hospice de Blangy, bâti en 1890, qui accueille cette année-là, 1891, 17 pensionnaires dont le nom n'est pas donné. Les enfants de Marie Berthe LHOMME ayant migré ou étant décédés, nulle solidarité familiale ne peut s'exercer. Vraisemblablement, la solidarité villageoise prend le relais grâce à l'établissement public.

 

Rue de Courcelles, en 1841, habitent aussi Stanislas, journalier, et son épouse Adélaïde DECROIX, fileuse (11) , mariés en 1828, et leurs quatre enfants. En 1836, ils sont recensés avec deux enfants dans le ménage de Bernardine BROCVIELLE (12) , veuve de 71 ans. En 1831, Bernardine, déjà veuve de Norbert Romain, vit seule avec l'une de ses filles Prudence (16), dont nous reparlerons, mère d'Alexandrin, son enfant naturel âgé d'un an qui n'est pas né à Blangy. En 1846, c'est route de Fruges que nous retrouvons Stanislas et Adélaïde avec quatre enfants. Non loin d'eux, sont installés son frère Norbert et Henriette RATEL, son épouse (14) . Nous reparlerons d'eux après Prudence. Pas de changement en 1851, ses enfants ont de 8 à 20 ans. En 1856, Norbert est domestique et deux enfants demeurent avec leurs père et mère. Rien ne change jusqu'en 1866, où leur fille Sophie est mère célibataire de Stella, âgée de 6 mois. En 1872, Stanislas est décédé depuis deux ans et Adélaïde, 77 ans, mendiante, est chef de ménage . Elle accueille Ildefonse, son fils de 30 ans, marié à Dalila LAGACHE (13) . Elle meurt la même année 1872. Ici aussi, nous constatons les solidarités et la tolérance à l'égard des filles-mères qui continuent à vivre sous le toit des parents avec leur progéniture. Nous avons noté qu'à Blangy, certains foyers hébergent des enfants abandonnés, recueillis et placés par les hospices de Paris. Comment penser que des familles non-bourgeoises rejettent et laissent à l'abandon les enfants naturels de leurs propres enfants? Ildefonse et Dalila, quant à eux, vivront rue de Courcelles, seuls, sans enfant installé à Blangy.

 

Voyons Prudence (16) dont le destin est singulier. Nous venons de la croiser habitant, en 1831, chez sa mère avec son fils "adultérin". Cinq ans plus tard, elles a acquis son indépendance et vit avec deux enfants naturels, Sigifroy , 4 ans et Adolphie, 2 ans. En 1841, rue de Courcelles, elle est qualifiée de femme postiche, femme postiche de Ferdinand VARLET, ce qui ne manque pas de nous interpeller. Postiche? Littré nous apprend que le mot désigne familièrement "quelque personnage qui n'a pas la qualité qu'il se donne" et de citer un seigneur postiche dont parle le Duc de Saint-Simon dans ses Mémoires. Pour ce qui nous concerne, l'explication arrive quand nous découvrons que Marie Anne DEBUICHE (2) est la femme légitime du fameux Ferdinand VARLET. Elle vit même rue, à quelques encâblures du faux couple! En consultant la généalogie, nous nous apercevons que Marie Anne dont nous avons parlé tout à l'heure et qui vivra jusqu'à 96 ans, n'est autre que la cousine issue de germains ( de presque vingt ans son aînée) de Prudence! Quand nous parlions de tolérance! En 1846, les mêmes habitent aux mêmes endroits. Mais en 1850, Ferdinand décède et Prudence, manouvrière en 1852, vit seule rue de Bas. Ses enfants Sigifroy, 21 ans et Adolphie, 18 ans, qu'elle reconnaît la même année, ont quitté le nid. En 1856, Prudence est toujours à Blangy. Mais en 1857, nous trouvons sa trace à Roubaix pour la perdre à nouveau.

 

Frère de Prudence, Norbert (14), ménager, épouse, en premières noces, Marie Anne BEUGIN, une plisseuse originaire de Fruges qui mourra prématurément en 1833, lui laissant cinq enfants. Remarié l'année suivante avec Henriette RATEL qui lui donnera quatre enfants, il est installé en 1841 rue de Courcelles (qui est en passe de devenir la rue des DEBUICHE) où il habitera jusqu'à son décès en 1856. Sa veuve y reste dix ans de plus avec ses deux plus jeunes enfants. Elle disparaît des recensements postérieurs. Sans doute a-t-elle suivi l'un de ses enfants hors de Blangy. Son décès survient en 1891 à Aubigny-en-Artois, chez son fils Martial Joseph, sans qu'elle ait été portée au préalable sur les listes nominatives de cette commune. Au total, un couple stable dont les enfants partent au fur et à mesure qu'ils grandissent et une veuve qui achève sa vie chez un fils dans une commune d'adoption.

 

C'est aussi le cas du couple Charles et Marie Berthe FARSY (17). Charles, fils aîné de Pierre Joseph Bernard et de Marie Françoise LHOMME, est maréchal-ferrant. Il se marie en 1828 avec Marie Berthe FARSY dont le père est aussi maréchal. En 1831, à 26 ans, il est chef de ménage, le couple a un enfant et un domestique. En 1836, le cercle familial s'agrandit avec quatre enfants. 1841 le donne installé rue de la Place où, pendant 20 ans, il exerce son métier. Seule, la dénomination de la rue change: Grande place, puis rue de la grande place. Ils n'auront pas plus de cinq enfants au foyer et le nombre tombera naturellement à deux en 1861. A cette date, il est ménager. Ce qui surprend. Tentative d'explication: son fils aîné, André Joseph, marié à Emélie ASSELIN (18) en 1857, curieusement appelé Charles sur la liste de 1866, est lui aussi, maréchal-ferrant. Nous pouvons penser que c'est la transmission du métier qui explique la quasi-retraite de Charles et son activité de ménager. André, qui, en fait, se fait appeler Joseph, très tôt veuf avec six enfants, est toujours rue de la Place en 1896. Mais que deviennent Charles et Marie-Berthe FARSY (17)? Ils sont absents du recensement de 1866! Où les chercher? C'est l'occasion de se souvenir que leur fils aîné, un autre Charles, a fait des études (marque d'aisance de la famille), est entré dans les ordres puis est devenu curé de Molinghem, près d'Aire-sur-la-Lys, à trente-trois kilomètres de Blangy. C'est là que nous les retrouvons, rentiers dès 1866, avec leur fille Charlotte, âgée de 28 ans, sans profession. Pendant plus de vingt ans, ils resteront près de leur fils et décéderont en 1888 et 1889. Peu auparavant, en 1885, ils auront perdu leur fille célibataire. En 1881, au foyer s'est ajoutée leur petite-fille Berthe, fille de Joseph, âgée de 18 ans. Et, en 1886, à côté de chez eux, rue de l'église, comme de bien entendu, vit Charles BOURGERY, 32 ans, avec femme et enfants, qui est forgeron et chez qui travaille comme forgeron également un autre Charles, Charles DEBUICHE, âgé de 22 ans, petit-fils de Charles et Marie-Berthe FARSY et fils de Joseph qui, lui, est resté à Blangy comme nous l'avons dit. Mais devinez qui est ce Charles BOURGERY? C'est le fils de François, garde-moulin à Blangy et de Julie DEBUICHE (20), elle-même fille de Charles et Marie-Berthe FARSY (17)! Charles BOURGERY est donc le petit-fils de nos rentiers de Molinghem. Charles et Marie-Berthe ont reformé un foyer, attirant à eux une parentèle, la faisant bénéficier de leur expérience et de leur art, entourant leur fils curé de leur présence assidue et sans doute réconfortante, dans le même temps de leur grande vieillesse où ils ont pu compter sur le dévouement de toute la famille qu'ils avaient réunie autour d'eux. En 1896, à Molinghem, la situation est plus traditionnelle; le curé, âgé de 66 ans (âge de son décès d'ailleurs) n'est plus entouré que de sa servante. Les BOURGERY ont quitté le village et sont allés vers d'autres cieux. Mais ceci est une autre histoire et d'autres recherches à faire par les BOURGERY...

 

Voilà brièvement exposé ce que peut réserver l'exploitation de ce type de document. Nous avons écarté délibérément certains couples qui n'apparraissent qu'en fin de siècle et nous n'avons pas suivi toutes les filles portant le patronyme DEBUICHE, ce qui nous aurait entraîné dans des développements encore plus complexes. A condition de connaître le contexte familial et d'avoir déjà récolté des éléments sur les liens de parenté, nous disposons là d'une source documentaire intéressante et complémentaire qui aide à comprendre le fonctionnement des familles du XIXè siècle, à une époque où les témoignages transmis oralement sont devenus rares et plus rares encore les écrits, surtout de la part de familles qui vivent proches les unes des autres et qui ne maîtrisent l'écriture que dans les dernières générations du siècle.

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26 juillet 2010

COMPTE RENDU DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES 26 ET 27 JUIN A BLANGY

Samedi

 

Sous la présidence d'honneur de Renée RABION, alerte et attentive nonagénaire, le président accueille les cousins qui ont eu la gentillesse de se déplacer. Après les remerciements d'usage à l'adresse des présents et du maire de Blangy qui nous rend visite dans ses locaux très lumineux et agréables mis une fois encore gratieusement à notre disposition, il fait état des nombreux absents excusés pour raison de santé ou de travail. D'autres cousins sont attendus pour la fin de l'après-midi. Au total, c'est une trentaine de personnes que réuniront ces quatrièmes rencontres.

Une fois récupérée au domicile de Jacques, notre cousin récemment décédé, la nouvelle présentation de l'arbre généalogique, elle se révèle impcssible à dérouler en totalité, étant donné ses dimensions (15 mètres de long sur un mètre de haut). Les cousins sautent d'une branche à l'autre, à la recherche de leur lignage, prennent des photos et échangent... L'un sur le martinet, Emile sur l'archelle, cette baguette d'osier utilisée pour rendre sages les enfants turbulents. Emile sur l'utilisation en relais d'un vélo pour deux, laissé sur place tous les 500 mètres. Emile, décidément intarrissable, sur la cliente acheteuse d'un saucisson de 22 cm correspondant à la dimension de la cocotte de sa patronne, une femme de notaire. Et le client maçon de sortir son mètre pliant... L'anecdote fait dire à Ursane quels bons commerçants étaient les parents d'Emile, charcutiers à Boulogne-sur-Mer. Sa mère fidélisait la clientèle par de petits rappels discrets d'ardoises à effacer en début de mois, à l'occasion de rencontres furtives en pleine rue. Mais nous ne connaîtrons pas quel est le gros mot de marin du Capitaine au long cours... Regrets!

Sur le blog de l'association, vous trouverez des photos du groupe du matin et de l'arbre généalogique, déroulé sur le jardin municipal, au moment de l'apéritif, sous un chaud soleil provençal, pardon nordique!

L'après-midi commence par une visite au cimetière de Blangy où nous nous recueillons sur la tombe fleurie de Jacques, décédé brutalement le 9 juin. Jacques était un fidèle relais de l'association, toujours présent à nos rencontres. Nous avons dit à Charlette, son épouse, combien sa disparition nous avait émus.

De retour à la mairie, place au rapport financier présenté par Adeline. Situation saine, semblable à celle de 2008. L'assemblée a repoussé l'idée de l'augmentation de la cotisation pour permettre à tout un chacun de s'acquitter des 10 €. Suit le rapport d'activités du président. Il n'a pas semblé utile d'appeler à une réunion aux Alliès, une année sur deux. D'où économie d'un envoi de lettres. Mais il reste dit que les cousins qui manifesteraient le désir de se rendre dans la région seraient volontiers accueillis après avoir prévenu. Quant à l'arbre généalogique, c'est une petite société d'imprimerie qui l'a réalisé. Il est décidé qu'il reste aux archives de Blangy et qu'en tout état de cause les données doivent être protégées, ne pouvant circuler sur internet par respect de la vie privée des personnes. L'arbre étant évolutif, le bureau étudiera la fréquence de sa réédition. Le travail du président et de sa secrétaire consiste aussi à préparer les courriers comme celui-ci et à les acheminer (trois en moyenne par an). Comme les cousins sont nombreux à ne pas donner suite à la réception de ces courriers, il est décidé de faire une diffusion restreinte des compte-rendus des rencontres et de conserver une lettre à large diffusion en fin d'année. Par ailleurs, il serait intéressant de développer le blog de l'association créé par Sandrine en 2008 et de prendre l'habitude de le consulter. Le président met en ligne son étude présentée en 2008 sur le décès dans des circonstances troublantes de Charles DEBUICHE, à St Omer en 1794, et celle de 2010 sur les DEBUICHE de Blangy d'après les recensements de population au XIXè siècle, étude qu'il a pu réaliser grâce à la mie en ligne par les Archives départementales du Pas-de-Calais de ces mêmes recensements.

Les rapports financier et d'activités sont votés à l'unanimité. Le président se charge de faire réaliser une carte d'adhérent. Il est ensuite procédé à l'élection du nouveau bureau. Quatre membres sortants sont candidats; il convient de remplacer Stéphanie, démissionnaire de la vice-présidence. Claude DEBUICHE, contacté, est élu à ce poste à l'unanimité avec les sortants.

Pour terminer studieusement l'après-midi, l'assemblée se plonge dans la lecture d'actes paroissiaux blangiaquois du XVIIIè siècle.

A 20 heures, repas à l'Auberge, où nous ont rejoints d'autres cousins. Moment très agréable, convivial, grâce à la guitare d'Olivier et à la voix de stentor d'Armel. En 2012, chacun apportera sa voix, son instrument et Doudou son accordéon diatonique et son répertoire de chants de marin avant de dédicacer ses ouvrages.. Ça promet!!

 

Dimanche

 

Monsieur le Maire est aux petits soins pour nous et nous offre le café. Discussions sur la commune, ses investissements (maison traditionnelle restaurée en maison médicale, foyer-logements de style fermettes, zone artisanale en projet). Puis Jean-Paul expose ses recherches sur les recensements du XIXè siècle dont le texte est sur le blog.

Après un buffet froid, reprise sur les projets de l'association: nouvelle réunion à Blangy en 2012. Organisation en 2013, sur proposition de Claude, tout frais émoulu et adoubé vice-président, d'un week-end médiéval à Provins (Seine-et-Marne) au début du mois de juin. Comme projets d'études pour le président, en 2012 sur Blangy au XIXè d'après les délibérations communales, et en 2014, sur les DEBUICHE, soldats de la guerre 14-18.

En fin de réunion, Jean et Maryse accompagnant Charlette nous rejoignent. C'est un grand moment d'émotion où le souvenir de Jacques, l'évocation de sa brutale disparition prennent une grande place. Chacun, à sa façon, essaie de partager la grande affliction de Charlette.

 

 

Au carnet de l'association

 

Jacques DEBUICHE nous a quittés le 9 juin 2010 à Blangy-sur-Ternoise, âgé de 76 ans. Son départ brutal nous a tous profondément émus. Au nom de l'association, le président a fait déposer une couronne de fleurs sur sa tombe et présenté des condoléances à sa famille.

Luce ONCLE est décédée chez sa fille à Rivières dans le Tarn le 16 avril 2010, à l'âge de 96 ans.

 

 

Rappelons qu'il est toujours temps de s'acquitter de sa cotisation 2010 pour un montant de 10 € par chèque à l'ordre « Association Famille Debuiche »  adressé à

                             Adeline DEBUICHE , Appt 25, 102 rue d'Amiens, 62000 ARRAS

25 juillet 2008

Présentation

Rappelons que les buts de notre association sont de regrouper des informations, de faciliter les échanges, d'organiser et d'animer des réunions permettant des rencontres familiales, d'accompagner, initier, guider, orienter tout membre à la recherche de nos familles. Elle est ouverte aux descendants directs et aux conjoints.

24 juillet 2008

Eugène Debuiche (1890-1898)

 

Eugène DEBUICHE (1890-1898)

12 ème enfant de Charles et Zélie LHOMME

 

 

Les registres de délibération du Conseil municipal de Blangy-sur-Ternoise réservent des surprises: jusqu'ici, on ne savait pas de quoi était mort le jeune Eugène DEBUICHE : accident? maladie?

 

Nous voici fixés après avoir lu cet extrait:

 

 

« 9 juin 1898, vue la demande présentée par la veuve DEBUICHE à l'effet d'obtenir un secours pour l'entretien de son fils Eugène, âgé de 7 ans, à l'hôpital Casin de Berck pour la guérison du mal de Pott, considèrant que le prix de la pension s'élève à 50 francs par mois, que la durée du traitement sera d'un an environ, que la veuve DEBUICHE est indigente, qu'elle a une nombreuse famille (12 enfants), que parmi ces 12 enfants, deux seulement peuvent lui venir en aide, deux autres peuvent subvenir à leurs besoins, huit sont en bas âge et à sa charge, considèrant que le bureau de bienfaisance n'a aucune ressource, vu l'urgence et la gravité du cas, décide de faire participer la Commune dans cette dépense à raison de 15% du prix de la pension, somme prélevée sur l'article 92 des dépenses imprévues de l'an 98, et prie Monsieur le Préfet de vouloir bien accorder à la veuve DEBUICHE de Blangy-sur-Ternoise le complément de la somme nécessaire à l'entretien de son fils, soit 85% du prix de la pension. »

 

 

La situation de Zélie LHOMME , veuve de Charles DEBUICHE depuis mai 1893, est en effet matériellement très difficile: en novembre de cette même année, la famille est classée parmi les indigents et reçoit de la Commune, à ce titre, un pain et demi. En 1898, ses enfants ont respectivement 23, 21, 20, 19, 17, 15, 14, 12, 11, 10, 9, 7, et 6 ans.

 

 

Dans la suite du registre de délibération, il n'est pas dit que le Préfet a entériné l'avis du Conseil et que le département, après la commune, est venu au secours de notre famille. S'il l'a fait, ce fut sur une très courte durée puisqu'Eugène est décédé le 26 juillet 1898, moins de deux mois après la demande de secours présentée par sa mère.

 

 

Le mal de Pott, qu'est-ce que c'est? Il est appelé aussi à l'époque le mal vertébral. C'est le chirurgien anglais Percival POTT (1713-1788) qui le premier le décrit : frappant surtout les enfants et les adolescents, « le mal vertébral » est une carie, le plus souvent d'origine tuberculeuse, qui atteint une ou plusieurs vertèbres.

 

Son évolution comporte trois périodes:

 

1- La vertèbre atteinte par la lésion commence à suppurer et à se creuser et occasionne une grande gêne dans les mouvements du tronc et de vives douleurs.

2- Due au tassement, une gibbosité apparaît.

3- Des abcès se forment, produits par une fonte de la vertèbre et des troubles s'ensuivent comme la paraplégie.

 

La guérison peut intervenir à chaque étape de la maladie. Il ne restera que l'ankylose et la gibbosité. Le Larousse du début du XXè siècle d'où sont tirées ces informations précise aussi que la mort survient par tuberculisation générale.

 

Le traitement impose une immobilité absolue et prolongée dans des appareils plâtrés. Également, une alimentation tonique, une bonne hygiène, une médication antiscrofuleuse et un séjour dans certaines stations balnéaires, comme Berck-sur-Mer cité dans l'article du dictionnaire.

 

Eugène a sans doute été soigné comme il le convenait pour l'époque mais peut-être trop tard...

 

Comment ne pas penser que le petit Eugène est victime de la misère qui afflige notre famille en cette fin du XIXè siècle?

Jean PAul  Debuiche

 

 

 

24 juillet 2008

patronymie

 

PATRONYMIE

Ecrit en 2003:

 

Je me suis posé , il y a longtemps, la question de savoir ce qui se cachait derrière notre patronyme. J’avais interrogé mon ancien professeur de grec au lycée, lequel m’avait aiguillé sur une fausse piste, celle du bois. Le buschier était un marchand de bois ; debuchier c’est sortir du bois en parlant d'une bête traquée; boschetum, un petit bosquet en latin et dom Bosco une figure religieuse...

 

Récemment un cousin, Pierre DEBUICHE, me révèle que notre patronyme provient d’un nom flamand qu’il ne cite pas d’ailleurs, signifiant le buveur. Pierre est aussi dans l’erreur, mais vous allez voir, pas autant qu’on peut le penser.

 

Il y a une semaine, j’ai eu l’heureuse surprise de recevoir de Thérèse DEBUICHE un courrier riche et fourni en documents, parmi lesquels une page illustrée d’armoiries, établie par une officine, portant sur l’origine et l’étymologie de notre patronyme. En fait, il ne s’agissait que d’apparenter notre nom à DEBUGNY qui vient de DEBUIGNY, canton de la Somme ou du Doubs ou encore hameau dans l’Aisne. Ce serait un nom de domaine formé du nom de personne d’origine germanique BUNO.

 

Plus sûr et en m’en tenant à une réponse de M. Jean Favier, alors directeur des Archives de France et aujourd'hui membre de l'Académie française, que j’interrogeais en 1983, le mot flamand pour exprimer “bief” est “buis” avec comme diminutif “buisje”.

 

Rappelons qu’un bief est un fossé creusé à côté d’une rivière pour l’usage d’un moulin et pris d’assez loin pour pouvoir ménager une chute d’eau ou au moins une pente qui augmente la rapidité de l’eau. En d’autres termes le bief est un canal de dérivation qui conduit l’eau en l'accélérant jusque sur la roue du moulin. En 1326, on cite dans le Dictionnaire de la langue ancienne et de tous ses dialectes de Frédéric Godefroy datant de 1881: “le buy par quoi l’iaue va au moulin”.

 

Donc, en flamand, le bief, c’est “buis” ou “buisje”. Jean Favier ajoute que le nom de lieu Le Buich, sis sur la commune de Sains-les-Pernes, doit être une francisation du mot flamand. Le nom de personne DEBUICHE doit être la forme flamande elle-même précédée de l’article flamand “de”.

 

Pour conclure, je ne peux m’empêcher de dire que M. Favier n’apporte pas d’eau au moulin de Pierre. Buveurs, les DEBUICHE? Peut-être, mais buveurs d’eau!

 

J'ajouterai pour notre troisième rencontre de juin 2008 ce qu'a trouvé Marylène dans L'onomastique calaisienne à la fin du 13è siècle de M Gysseling et Pierre Bougard, 1963. Les auteurs s'appuient en partie sur un rouleau « constitué de six membranes de parchemin cousues ensemble avec du fil bleu », conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais, cote A 150. Le livre donne le nom des personnes assujetties à la taille en 1298 à Calais et à St-Pierre, faubourg de Calais. On y trouve un article où une personne nommée Breght BUICH est imposée pour deux sous. Gysseling et Bougard donnent comme origine à ce nom le moyen néerlandais « buuc » qui signifie ventre. Précisons que le nom BUICHE est encore porté dans le Nord de la France et la Picardie par quelques familles que j'avais répertoriées. J'avais aussi commencé à remonter une famille BUICHE à Coupelle-Vieille, mais ce travail reste en friche.

 

Revenons à nos DEBUICHE flamands et à nos BUICH néerlandais pour dire qu'ils nous laissent le choix entre le bief et le ventre. Comment choisir entre l'un et l'autre?

 

 

 

 

Extrait du Dictionnaire de la langue française ancienne et de tous ses dialectes du IXè au XIVè siècle de Frédéric GODEFROY, Paris, 1881

 

BUY: s.m. Bief. Fossé creusé à côté d'une rivière pour l'usage d'un moulin et pris d'assez loin pour pouvoir ménager une chute d'eau ou une pente qui augmente la rapidité de l'eau: le buy par quoi l'iaue va au moulin (1326, Arch. JJ64, f°1405)

 

BUSE: buise, buyse s.f. : conduit, canal, écluse, soupirail . En wallon, busse, buysse: tuyau, tube.

 

Sur le site d'Ellis Island qui permet de savoir le nom des émigrants européens ainsi que leur date d'arrivée en Amérique, je n'ai rien trouvé à notre nom et à ses variantes. Les noms les plus proches du nôtre sont Debouche, .ebuick, Debiche, Debich, Debuch, Debuyck. C'est sur ce site que Jacqueline BERNARD a trouvé le départ de Marie BELLET pour l'Amérique.

 

 

 

 

 

 

Jean Paul Debuiche

18 juillet 2008

rencontre généalogique 2008

34 cousins ses sont déplacés pour cette rencontre à Blangy sur Ternoise les 28 et 29 juin 2008

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Le Blog de l'association de la Famille Debuiche
  • Née en 2002, notre association généalogique les descendants de Nicolas Debuiche (1695-1738) et Marie Hélène Sallé (1696-1738) s'est donné comme mission de réunir les cousins, de rechercher des éléments permettant de construire l'histoire de notre famille
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